Danser sur un volcan

Une fenêtre à gauche. Un fauteuil à bascule à droite. Myriam Boyer s'avance à petits pas sur la scène, toute vêtue de noir. Elle peine sur ses mots croisés, s'approche de la fenêtre et s'exclame : "Anna." Anna serait-elle de retour, ce soir de Noël 1970 ? Après vingt-huit ans d'absence ?Myriam Boyer est Maria. Cette femme en noir qui se souvient. Sa voix, parfois rauque, parfois enfantine, emplit l'espace du Théâtre de l'Oeuvre. Anna passera-t-elle la voir ? Anna, c'est l'amie de jeunesse, l'amie de toujours de Maria. Une jeune femme juive disparue dans un train en 1942. La possibilité de son retour déclenche un flot de souvenirs, le récit de l'existence d'une femme forte et sensible, "pas très intelligente", selon ses dires, mais qui a aimé la vie avec passion.Anecdotes d'une époque terrible. Maria se remémore la Lorraine, "son pays de neige" natal, et elle a froid. Elle évoque ses parents communistes, la "maison au traîneau", où Anna est venue pour la première fois, un soir de Noël où la neige était épaisse et la bûche trop molle.Puis vint la peur. "En 1933, on faisait semblant que tout allait bien. On a dansé sur un volcan." C'est l'époque du déménagement à Paris, dans l'appartement voisin de celui des parents d'Anna. Car la Lorraine frontalière de l'Allemagne ne semble plus très sûre.Avec toute la gouaille d'une fille de Paris, Maria relate sa jeunesse, de son premier orgasme à ses années sur le trottoir, par amour d'un homme et par affection pour tous les autres. Elle jure, "Pute borgne", puis se calme, s'assied dans son fauteuil à bascule dont le mouvement incessant prouve qu'elle n'est jamais apaisée. Elle raconte tout à Anna qui pendant ces années n'était jamais loin. Studieuse et sérieuse, l'opposé de Maria, "la délurée", qui a abusé de tous les plaisirs.Cette Maria-là est très humaine, son émotion transporte. Myriam Boyer - également productrice de la pièce - habite et donne corps au texte d'Anne Jolivet (publié aux éditions l'Oeil du Prince), mis en scène par Didier Long.La petite et la grande histoire se mêlent. Les anecdotes parlent des rares moments de bonheur d'une époque terrible. C'est aussi le Paris des années 30 et 40 qui prend vie dans le monologue de Maria. Un Paris de la débrouille, où on survit, tout en ayant conscience des horreurs qui se trament, mais en face desquelles on se croit impuissant. "On aurait dû s'allonger sur les voix ferrées", s'écrie Maria. Elle s'en veut, elle porte la culpabilité du monde sur ses épaules. "Je ne l'ai pas perdu ce combat. Je ne l'ai pas mené."Les yeux perdus au travers de la fenêtre, Maria rêve : "J'ai toujours su que tu reviendrais, Anna. Il me tarde de te raconter ces vingt-huit années et de t'entendre." Et si Anna "l'intellectuelle" ne peut parler, Myriam, elle, crie. Et c'est bouleversant.Laure Hamann"Je viens d'un pays de neige", au Théâtre de l'Oeuvre à Paris jusqu'au 2 septembre. Tél. : 01.44.53.88.88.
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