« Comment le silence s'est construit pendant la dictature »

Mais qui a donc tué ce fanfaron Ezcurra ? La police de la dictature militaire ? La guérilla ? Ou un mari cocu ? C'est ce que cherche à élucider Féfé, de retour dans le village argentin de ses vacances d'enfant. Avec « Tout ou presque sur Ezcurra », Carlos Gamerro signe un roman captivant, passionnant, sur la dictature argentine (1976-1983). Et même si son livre est construit tout en dialogues, c'est surtout de silence dont il est question ici. Celui de ses compatriotes pendant les années de terreur. Gamerro nous en dit plus.Comment est née l'idée de ce livre ?Ces années de dictature étaient des années de silence et d'aveuglement. J'étais au lycée en 1978, pendant le Mondial qui se tenait dans mon pays. En classe, nous sommes tombés sur un journal britannique qui parlait de foot mais aussi des disparus. Pour nous, profs inclus, ce journaliste racontait n'importe quoi. Au fond de la classe, pourtant, un élève, très timidement, a affirmé que c'était vrai. Et pour la première fois, j'ai douté. Aujourd'hui encore je me demande comment les adultes ont pu vivre ces années-là dans le déni et sans jamais parler de ce qui se passait. C'est de ça dont j'ai voulu traiter dans mon livre. Non pas des bourreaux ou des victimes, mais de tous ceux qui ont dit ensuite : « Je ne savais pas. » J'ai voulu comprendre comment le silence et l'ignorance se sont construits.Dans votre roman, la dictature n'est jamais nommée mais omniprésente.En histoire, il y a les faits et il y a la légende. Dans la mémoire collective argentine, nous parlons toujours de la dictature militaire. Mais la police a joué un rôle très important. Surtout dans les petits villages. Lorsque la démocratie est revenue, les militaires sont retournés dans leur caserne. Ils ne représentaient plus de danger. Les policiers, eux, ont continué à vivre avec nous comme si de rien n'était.Que reste-t-il aujourd'hui de cette dictature ?Du bon et du mauvais. Encore une fois, la police n'a pas été purgée. Mais je pense que la société argentine a beaucoup appris pendant ces années-là et en est devenue meilleure. Elle était cadenassée, sous la coupe de l'Église. Cette dernière s'est tellement compromise avec les militaires qu'elle n'a plus voix au chapitre. Cela a permis aux moeurs de se libéraliser. L'idée même d'intervention militaire a disparu, tout comme la violence politique.À quoi ressemble la scène littéraire argentine aujourd'hui ?Elle est aussi vive que variée mais malheureusement souvent déconnectée de la scène internationale. Le théâtre a une grande importance dans mon pays et cela rejaillit sur les écrivains. Idem pour la poésie qui a su trouver son propre circuit à travers des lectures publiques, ce dont nous avons également bénéficié. Enfin, dans les années 1990, le renouveau du cinéma argentin a suscité une extraordinaire effervescence tissant des liens entre tous les arts, qu'ils soient dramatiques, plastiques ou musicaux.Propos recueillis par Yasmine Youssi à Buenos Aires Éditions Liana Levi, 298 pages, 20 euros.Carlos Gamerro romancier argentin
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