De l'or noir sous les glaces du Groenland

La semaine dernière, la nouvelle a réchauffé le coeur d'une majorité de Groenlandais et glacé le sang des défenseurs de l'environnement. Après plus d'un mois de forage, la compagnie britannique Cairn a annoncé que son puits T8-1, à 150 kilomètres à l'ouest de l'île de Disko, avait rencontré des gaz « biogéniques » au sein d'une couche de sables épais. Pour la première fois de son histoire, des hydrocarbures, ou plutôt « une indication précoce d'un système d'hydrocarbures », étaient décelés dans les eaux territoriales de la plus grande île du monde.Le potentiel géologique du Groenland était connu depuis longtemps, mais il n'avait encore jamais eu de traduction concrète avant cette découverte. Selon plusieurs études, le territoire pourrait receler au moins 20 milliards de barils de pétrole, soit une fois et demie les réserves, prouvées celles-là, d'un pays comme l'Angola. Ses ressources en gaz seraient même plus importantes. Mais jusqu'à présent, l'exploration pétrolière, limitée, n'avait rien donné. Cinq puits forés dans les années 1970, un autre en 2000, tous secs. Ce n'est qu'en 2007 que le gouvernement du Groenland a relancé l'appel d'offres qui a abouti à la découverte de Cairn.Car ces réserves supposées de pétrole et de minéraux nourrissent les rêves d'indépendance du territoire. Le Groenland a accédé l'an dernier à une autonomie renforcée à la suite d'un référendum, mais reste sous souveraineté danoise, autant que sous perfusion. L'île reçoit 600 millions de dollars par an de sa tutelle, 10.700 dollars pour chacun de ses 56.000 habitants. « Le développement des activités dans les hydrocarbures est crucial, si nous voulons gagner assez de revenus pour remplacer le bloc de subventions danois », a ainsi déclaré Ove Karl Berthelsen, le ministre de l'Industrie et des Ressources de l'île.Ces dernières années, l'ambition pétrolière du Groenland a été crescendo, parallèlement à l'intérêt des majors, confrontées à la raréfaction des ressources facilement accessibles. Le gouvernement multiplie les appels d'offres, tous en offshore. Quatorze blocs situés dans la baie de Baffin, à l'ouest de l'île, doivent être attribués dans les prochaines semaines. Treize compagnies internationales ont postulé au rôle d'opérateur, dont Shell et la norvégienne Statoil. Le pays compte lancer deux nouveaux appels d'offres en 2012 et 2013.Bien sûr, les ONG environnementales s'alarment de voir la fièvre de l'or noir gagner le sanctuaire écologique qu'est le Groenland, déjà frappé par le réchauffement climatique. Les défenseurs de l'environnement estiment que les conditions climatiques de la région accroissent les risques d'accident en même temps qu'elles réduisent la capacité des pétroliers à y répondre. Pour alerter les esprits, Greenpeace a pris d'assaut la plate-forme de Cairn, mardi, et réussi à y faire monter quatre de ses membres dans l'espoir d'en perturber les opérations.« Températures glaciales, conditions climatiques extrêmes et éloignement géographique (constitueraient) de sérieux obstacles aux interventions de dépollution », souligne l'ONG. « En Arctique, la période de forage étant de courte durée, il pourrait être impossible de mettre en place un puits de secours (permettant de neutraliser un puits défectueux) avant l'arrivée du gel hivernal », ajoute Greenpeace.En réponse aux ONG, le Groenland assure imposer aux compagnies pétrolières des conditions de sécurité draconiennes, bien supérieures à ce qu'elles peuvent être par exemple dans le golfe du Mexique, dont le laxisme semble avoir conduit au désastre écologique impliquant BP. « Nous appliquons les plus hauts standards de sécurité environnementale, tant en termes de procédures que d'équipements », observe Jørn Skov Nielsen, du Bureau des minéraux et du pétrole du Groenland. « Nous menons des inspections intensives des installations, en moyenne trois fois par mois, avec nos propres experts et le soutien d'homologues norvégiens et canadiens. Nous sommes parmi les premiers au monde à imposer aux compagnies d'avoir deux plates-formes sur les zones de forage, pour pouvoir débuter immédiatement le forage d'un puits de relais en cas de problème », ajoute-t-il.Pour les entreprises opérant sur place, les défis sont nombreux, renchérissant d'autant les coûts. L'exploration ne peut être réalisée que pendant une durée n'excédant pas quatre mois, avant que l'hiver arctique et l'épaississement de la glace de mer n'interdisent les opérations de forage. Dans ce court laps de temps, les entreprises doivent, entre autres, protéger leurs infrastructures d'une éventuelle collision avec des icebergs, avec des bateaux pouvant les remorquer ou les briser à l'aide de canons à eau. D'autres alternatives doivent être prévues si ces opérations s'avèrent impossibles, comme avec ce bloc de 250 kilomètres carrés qui s'est détaché en août du glacier Petermann.« Les plates-formes situées dans les régions de passage des icebergs peuvent être dotées de systèmes de déconnexion qui leur permettent de se détacher de leur risers [les tuyaux remontant les productions du sol, Ndlr] et de leurs amarrages pour éviter une collision, souligne Brian Roberts, directeur du développement-plates-formes offshore au sein du groupe de services pétroliers Technip. Mais ce ne sont pas forcément les difficultés prises individuellement qui rendent le travail dans l'Arctique si exigeant, mais la combinaison des vagues, des courants, du vent, du brouillard, de la glace, des sols et la brièveté des saisons », précise-t-il.Aujourd'hui, si le Groenland semble succomber à son tour à la séduction de l'or noir, il lui faudra encore de nombreuses années avant de profiter de ses éventuels dividendes. Les défis restent immenses, les infrastructures pétrolières inexistantes. Mais la détermination du gouvernement, qui y voit « l'opportunité de sécuriser les fondations économiques des conditions de vie de son peuple », est entière. Olivier Hensge
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