Quand Pierre Péan se tire une balle dans le pied

Avec « Carnages », Pierre Péan poursuit l'enquête sur le drame rwandais débutée cinq ans plus tôt avec la publication de « Noires Fureurs, Blancs menteurs », suivie, l'an dernier, du « Monde selon K. ». L'enquêteur continue de bousculer la thèse officielle d'un génocide unique au Rwanda en 1994. Prenant toutefois soin de ne pas parler de double génocide, Pierre Péan affirme qu'il y a eu « plus de Hutu tués que de Tutsi ».Mais le livre va bien au-delà du drame rwandais puisqu'il s'efforce d'embrasser l'ensemble des conflits qui ont ensanglanté la région des grands lacs. Après la chute du mur de Berlin, les États-Unis, aidés du Royaume-Uni et d'Israël, ont décidé d'étendre leurs aires d'influence sur le continent africain, en réduisant notamment le pré carré français. Paul Kagame aurait ainsi bénéficié de l'aide des États-Unis pour reconquérir le Rwanda.Le livre serait convaincant si Pierre Péan ne consacrait pas à la Françafrique un chapitre digne de « l'Effroyable Imposture », de Thierry Meyssan. Tout à sa volonté de dénoncer un concept qu'il juge aujourd'hui inopérant, Pierre Péan se livre à une charge d'une rare violence contre les organisations « droits-de-l'hommistes », selon sa formule, à l'origine de la plainte ayant permis de révéler le patrimoine immobilier de plusieurs chefs d'État africains en France.Le comble du ridicule est atteint lorsqu'il accuse William Bourdon, président de Sherpa, et Daniel Lebègue, président de Transparency International et ancien directeur du Trésor (français), d'être les instruments de la CIA en cherchant à « déstabiliser les pays africains proches de la France ». Pour étayer sa démonstration, Pierre Péan multiplie les contrevérités qu'une simple consultation sur Internet lui aurait permis d'éviter.Jouant sur le registre conspirationniste, l'auteur explique par exemple que Sherpa est financé par l'Open Society Institute, derrière lequel « se cache » George Soros, le milliardaire américain d'origine hongroise. George Soros ne se « cache » pas : l'adresse Internet de l'Open Society est soros.org...Pierre Péan reprend à son compte les arguments du président congolais Denis Sassou Nguesso qui expliquait, le 5 juillet 2009, sur le perron de l'Élysée, que « tous les dirigeants du monde ont des châteaux ou des palais, qu'ils soient du Golfe, d'Europe ou d'Afrique ». Pierre Péan s'indigne dans les mêmes termes : « Imagine-t-on un instant un article de cette encre [...] parlant des biens immobiliers de l'émir du Qatar ? » La liste des erreurs ? des mensonges ? ? est encore longue. Ils sont tellement grossiers que le lecteur ne peut s'empêcher de se demander si tout le reste du livre est du même acabit. En voulant régler ses comptes, Pierre Péan s'est tiré une balle dans le pied. Xavier Harel « Carnages », de Pierre Péan. Fayard (572 pages, 24,50 euros).
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