La guerre des idées mène le monde

Il y a sept ans, en signant « le Rappel à l'ordre », Daniel Lindenberg, professeur de sciences politiques à l'université Paris VIII, créait une polémique dont la France a le secret. Il pointait en effet le glissement vers des positions conservatrices de certains intellectuels qui furent dans les années 1960 et 1970 des révolutionnaires. Aujourd'hui, après le ralliement de nombre de penseurs à Nicolas Sarkozy, chantre d'une droite libérale et décomplexée, sa thèse est confirmée. Dans « le Procès des Lumières », il élargit son champ d'analyse au monde et à l'histoire pour expliquer le phénomène du néoconservatisme, qui a gagné la planète. Car, des États-Unis jusqu'à récemment à l'Allemagne en passant par la Chine et l'Inde, on a assisté à une critique en règle des idéaux issus des Lumières, en particulier celui de l'égalité à travers une politique d'émancipation, qui stigmatise le progressisme issu de la contestation de l'ordre établi depuis Mai 68. Il n'y a là rien de nouveau, comme le montre l'auteur, la Révolution de 1789 fut pour sa part tôt critiquée, vigoureusement et brillamment, par des figures comme Joseph de Maistre, Edmund Burke ou encore Charles Maurras. La nouveauté est que ce retour militant du conservatisme a été mené bien souvent par d'ex-fans gauchistes des sixties. Aux États-Unis, ils venaient du trotskisme, comme Irving Kristol, pour qui les trois piliers du néoconservatisme sont « la religion, le nationalisme et la croissance économique ». En France, l'origine des acteurs est plutôt maoïste. Comme le montre clairement Jean Birnbaum, journaliste au « Monde », dans son enquête « les Maoccidents », la volonté d'agir sur l'histoire de certains membres de la Gauche prolétarienne est restée intacte, mais, déçus par le peuple et son adhésion à la société de consommation, ses acteurs ont trouvé dans la religion et la tradition occidentale des armes idéologiques pour poursuivre une certaine révolution. La fin du communisme, avec l'éclatement de l'URSS, et, dans la foulée, le recul du marxisme dans la sphère intellectuelle ont précipité la déconsidération du rationalisme et des idéaux du progrès pour tous que défendaient les Lumières. Cela fut mené au nom de la lutte contre le totalitarisme, un concept théorisé par Hannah Arendt, devenu fer de lance de la contre-offensive conservatrice. Sans compter l'ambivalence de certains intellectuels de gauche de la « French Theory », comme Michel Foucault ou Jacques Derrida, dont les critiques contre la raison, le rationalisme, la science, l'universalisme ont nourri une certaine forme de relativisme, abhorré par les conservateurs. A contrario, souligne Daniel Lindenberg, des intellectuels libéraux comme Raymond Aron et François Furet furent à leur façon plus fidèles à l'héritage des Lumières, en particulier celui du libéralisme classique, que leurs bruyants disciples.Pour autant, l'auteur se veut optimiste. Le combat universel pour l'émancipation et l'égalité reste d'actualité. De « nouvelles Lumières » pourraient naître, nourries de traditions extra-occidentales. Sans compter le signe donné par l'élection de Barack Obama aux États-Unis. « Yes, we can », un mot d'ordre pour une nouvelle Renaissance ?Robert JulesDaniel Lindenberg, « le procès des Lumières », éditions du Seuil, 296 pages, 19 euros.Jean Birnbaum « les Maoccidents », éditions Stock, 139 pages, 11 euros.lectures l'actualité des idées et des concepts
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