« Les inégalités n'ont cessé de se creuser »

La révolution conservatrice apparue depuis vingt ans vient-elle de la domination de l'économie ou des idées ?Daniel Lindenberg (*) : Les conflits autour du libéralisme dépassent de très loin le rôle du marché, de la régulation ou de l'économie administrée. Si l'économiste Hayek ainsi que l'école de Chicago ont recentré le libéralisme sur la prééminence du marché, considérant que la démocratie était un pis-aller débouchant sur un totalitarisme, Karl Popper en avait une conception beaucoup plus large portant aussi sur l'organisation de la société elle-même, du vivre-ensemble des individus, jusqu'à l'organisation de la démocratie découlant du pouvoir de la raison telle qu'il a été conçu par la philosophie des Lumières.Le néoconservatisme relève-t-il d'un grand retour du phénomène religieux ?Ne vous méprenez pas : il n'y a pas de retour de la pratique ou de la foi religieuse dans le monde, bien au contraire ! En revanche, ce que l'on voit apparaître dans les stratégies conservatrices, c'est un usage politique de la religion, comme le fit un Charles Maurras qui, tout en se disant athée, avait noué une alliance tactique avec l'Église, et faisait la promotion de ses valeurs. Cette montée des « athées dévots », qui dans tous leurs discours relient religion et identité, s'observe d'ailleurs dans le monde entier. Nicolas Sarkozy lui-même n'y fait pas exception. Mais ce que l'on appelle les « néoconservateurs » recouvre en vérité une nébuleuse dans laquelle on peut distinguer deux groupes : les « marxistes », qui croient que l'évolution naturelle de la société les conduira un jour au pouvoir, et les « léninistes », qui ne croient pas pouvoir arriver au pouvoir par les élections et sont favorables au coup de force.Quel regard portez-vous sur la gauche française ?Devant le dynamisme des conservateurs, qui ont clairement pris l'initiative, on a du mal à discerner la véritable position de la gauche. Si en son sein, au PS, certains pensent que tout n'est pas mauvais dans la révolution conservatrice, en particulier sur l'immigration, la sécurité, la place de l'islam, la gauche campe sur un discours antilibéral tout à fait confus. La tentation y est toujours grande d'accuser le marché, sans craindre de confondre libéralisme politique et libéralisme économique. À peine Bertrand Delanoë avait-il tenté l'année dernière de réhabiliter la liberté politique et culturelle, les droits fondamentaux des minorités qu'il a suscité une levée de boucliers, qu'il l'a conduit à remiser ses idées. Embourbée dans les préoccupations de ses élus locaux, lesquels se révèlent parfois xénophobes, et peu ouverts à la diversité comme à la parité, la gauche ne parvient pas à renouveler son socle idéologique, et à rompre avec son surmoi marxiste. En réalité, la gauche s'est désintéressée de ses racines idéologiques, comme de ceux qui les portent, et ne disposent pas de relais dans la société civile. Alors qu'elle cherche à se reconstruire une doctrine, elle devrait peut-être se réapproprier la notion d'égalité, non devant la loi, mais dans la société où, depuis trente ans, les inégalités n'ont cessé de se creuser. Propos recueillis par Valérie Segond et Robert Jules(*) Directeur du département science politique de l'université Paris VIII
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