Auschwitz-Birkenau, l'âme en ruine

« La mémoire est un devoir et nous autres, qui avons survécu à l'horreur des camps de la mort, avons des obligations morales envers les générations futures. » Ce devoir de mémoire, énoncé par Primo Lévi, prend toute sa signification alors que les derniers survivants s'éteignent, inexorablement. Bientôt, plus aucun témoignage direct ne sera possible. Resteront, alors, les écrits, les images, les dessins. Et les lieux.Ainsi Auschwitz?Birkenau. Un silence de plomb règne ce 27 janvier 2010, jour du 65e anniversaire de la libération du camp par les troupes soviétiques. Il fait ? 20 °C et la neige, abondante, recouvre tout. « C'était ça Birkenau l'hiver », soupire cette ancienne déportée qui a fait le voyage avec une trentaine d'autres survivants, dont Simone Veil, qui a survécu un an dans cet enfer. Ces rescapés aux traits marqués par l'âge et les endurances passées accompagnent le secrétaire d'état aux Anciens Combattants, Hubert Falco, représentant la France aux cérémonies officielles. Dans son discours au « pavillon français » - 76.000 juifs de France ont été déportés dans les camps, seuls 2.500 en sont revenus - à Auschwitz I, Hubert Falco a, lui aussi, insisté sur le devoir de transmission de la mémoire devant les derniers témoins directs de la Shoah et en présence d'une trentaine de jeunes lycéens participant au Concours national de la résistance et de la déportation. Comment ne pas être saisi par un mélange d'effroi et d'incrédulité en arrivant devant la fameuse porte du camp de Birkenau, surmontée de son mirador ? Comment ne pas être submergé par l'émotion en découvrant cet immense espace de 200 hectares avec quelque 155 bâtiments ? La plus effroyable usine de la mort, où ont péri 1,5 million d'hommes, femmes et enfants, est là, plantée au milieu de nulle part. Comment ne pas hurler « les salauds » en foulant la fameuse rampe ? Ce terminus des convois de la mort, où s'effectuaient les tris. Là où des centaines de milliers de personnes, parce que nées juives, sont directement parties vers la chambre à gaz. Deux heures après leur arrivée, elles n'étaient déjà plus que cendres.Mais si la mémoire n'a pas de prix, elle a cependant un coût. Auschwitz-Birkenau se dégrade. Le temps qui passe et les intempéries font leur oeuvre. Baraquements, miradors, ruines des crématoires se détériorent. Ce symbole de la barbarie nazie ne doit pas disparaître. Classé au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1979, le camp nécessite un budget de 120 millions d'euros pour son entretien et sa conservation. Or, le gouvernement polonais ne veut plus assurer seul le financement.Une Fondation Auschwitz-Birkenau a été créée pour lever des fonds. Sur les quarante pays sollicités, seuls quatre ont, pour l'instant, répondu, dont l'Allemagne. Berlin a promis la moitié des sommes nécessaires, soit 60 millions d'euros, pour la préservation des lieux. Et la France ? Hubert Falco a assuré que l'Hexagone prendrait ses responsabilités. La question est en cours d'arbitrage chez le Premier ministre. Serge Klarsfeld, infatigable combattant de la mémoire et présent à Auschwitz lors du 65e anniversaire, déclarait « espérer » que le gouvernement français accorderait entre « 6 et 10 millions ».En attendant, la nuit tombe sur Birkenau et, dans un froid mordant, au bout de la tristement célèbre rampe, un rabbin entonne « El Mole Rahamim », le chant des morts à Auschwitz. Impossible de ne pas pleurer.Jean-Christophe Chanut(à Auschwitz)
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