L'analyse d'Erik Izraelewicz  : G2 amours, Paris et Berlin

Règlement de comptes franco-allemand, mardi dernier, dans les locaux majestueux de l'hôtel Beauharnais, dans le VIIe arrondissement de Paris, la résidence personnelle de l'ambassadeur d'Allemagne en France. Ce jour-là, Gerhard Cromme, l'un des plus francophiles des patrons allemands, le président du conseil de surveillance de Siemens et de ThyssenKrupp, était venu plaider, devant un parterre de dirigeants français (Giscard, Chevènement, François-Poncet, Védrine, Badinter, Veil, Gallois, Breton, Potier, etc.) en faveur d'un « retour aux fondamentaux » dans les relations franco-allemandes. Les débats furent animés. On aura du mal à dire qu'il a convaincu son auditoire ! À écouter, le lendemain, dans une autre enceinte, Jean-François Copé, le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, on pouvait pourtant avoir le sentiment que le « modèle allemand » recommence à trouver de fervents avocats en France, au sein de la majorité en particulier. « En ce qui concerne tout d'abord la banque centrale allemande... » Éclats de rire gênés dans la salle. « Excusez mon lapsus freudien », rebondit, rapidement, Gerhard Cromme, dans un excellent français. Appelé à répondre à plusieurs questions liées à la crise financière - sur le rôle notamment de la BCE, le « Docteur Gouvernance allemand » se serait bien épargné ce petit dérapage - « confondant » involontairement Buba (la Bundesbank) et BCE. Significatif, pourtant, pour plusieurs des personnalités présentes dans la salle. Cromme avait voulu répondre aux trois grands reproches que les Français adressent généralement à l'Allemagne - en particulier celui de vouloir une Europe allemande plutôt qu'une Allemagne européenne. Par ce lapsus, son plaidoyer a perdu un peu de sa force. Les arguments allemands méritent pourtant d'être entendus, sinon acceptés.Cavalier seulPremier reproche des Français aux Allemands : nos amis et voisins seraient trop concentrés sur la défense de leurs seuls intérêts égoïstes aux dépens des autres pays de l'Union européenne. Ils joueraient cavalier seul dans un nombre croissant de dossiers - budgétaire, financier, réglementaire, avec l'interdiction des ventes à découvert à nu, par exemple, etc. Faux, dit Cromme. En acceptant l'euro, les Allemands ont d'ores et déjà payé cher : des taux d'intérêt plus élevés, une monnaie affaiblie... Ils sont et restent ensuite les premiers contributeurs nets au budget de l'Union. Selon Cromme, depuis le début de l'euro, les Allemands auraient payé chaque année 100 euros à l'UE - les Français, moins de la moitié. Quant au « jeu perso » de Berlin, l'industriel cofondateur des entretiens franco-allemands d'Évian rappellera l'affaire de l'Union méditerranéenne, montée par Paris sans que l'Allemagne n'en soit informée ! Ambiance. Deuxième reproche français à l'Allemagne : la place excessive des exportations dans son économie. C'est l'attaque de Christine Lagarde, qui, visiblement, a froissé outre-Rhin. Cromme y revient longuement. L'excédent commercial allemand n'est pas un handicap pour l'Europe. Il contribue, au contraire, à l'équilibre des comptes extérieurs de la zone euro. Il est un dopant pour les autres économies européennes. Les exportations allemandes auraient en effet un contenu en importations européennes considérables - de l'ordre de 50 %. Surtout, ce surplus commercial, qui n'est pas nouveau (l'Allemagne était déjà critiquée pour cela en 1912 dans une publication appelée « Touche à tout »), ne serait pas lié exclusivement à une supposée déflation salariale menée dans les années 2000 en Allemagne. Il serait davantage le signe d'une « économie de bazar », particulièrement adaptée à la mondialisation. Il traduirait une compétitivité allemande liée à la capacité d'innovation de l'industrie nationale, à sa spécialisation et à la qualité de ses produits. La Russie, un intérêt stratégique pour tous Dernier reproche, enfin : l'Allemagne ne serait plus européenne, elle se tournerait désormais davantage vers la Russie, vers l'Est, plus généralement. Vieille critique qui fait enrager Gerhard Cromme. C'est, à ses yeux, un intérêt stratégique majeur, non seulement pour l'Allemagne, mais pour toute l'Union européenne, que d'entretenir des relations intenses et pacifiées avec la Russie - que ce soit pour des raisons militaires ou énergétiques. En plaidant en France pour un nouveau modèle économique, pour une croissance tirée davantage par l'investissement, l'innovation et l'exportation, pour une France davantage ouverte au monde, aussi, Jean-François Copé devait répondre, indirectement, le lendemain à cet appel à un retour aux « fondamentaux » de Cromme. Copé plaide ainsi pour un « G2 Paris-Berlin »  pour faire face au « G2 Washington-Pékin ». Pour reconstituer ce G2, « la cigale [la France] ne saurait faire la morale à la fourmi [l'Allemagne ] », devait conclure Antoine Veil, l'instigateur du débat franco-allemand. Référence à La Fontaine, Jean, le Français, pas Oskar, l'Allemand ! Pour qu'il n'y ait pas de malentendus.
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