Retraites : un modèle dans l'impasse

Face aux difficultés financières des régimes sociaux, tout se passe en France comme si les constructions de l'après-guerre n'avaient pas d'alternatives et devaient être sauvegardées en l'état. Cette fois encore, le principe d'un régime de retraite par répartition en annuités, avec des cotisations qui créent des droits proportionnels, a été vigoureusement réaffirmé. Or cette couverture de tous par ce système contributif n'est plus viable. Pour essayer d'en assurer la pérennité minée pour l'essentiel par les évolutions démographiques, il faut sans cesse allonger les durées de cotisation et/ou les âges de liquidation. Des scénarios économiques même très optimistes n'améliorent en effet qu'à la marge l'équation du financement des régimes actuels. Et la perspective de ressources financières supplémentaires au secours de la répartition ne peut être défendue que si l'on ignore le record mondial que détient déjà la France en matière de dépenses publiques consacrées aux retraites.Le relèvement des âges de liquidation des droits et d'obtention d'une retraite à taux plein ou l'augmentation des durées de cotisations apparaissent donc inévitables. Mais, comme l'a encore montré au printemps le Conseil d'orientation des retraites, même en plaçant les curseurs à un niveau ambitieux, ces mesures ne suffiront pas au financement des retraites à long terme.En fait, dans un pays vieillissant - ce que la France devrait être encore des dizaines d'années, surtout si sa politique migratoire reste malthusienne -, il n'est pas possible de financer à un coût collectif raisonnable un régime universel par répartition qui maintiendrait le niveau actuel des retraites. Malgré toutes les contorsions possibles, on aboutira nécessairement à des prélèvements insupportables qui casseront la croissance ou à des durées d'activité ou des âges de départ en retraite irréalistes pour le plus grand nombre.Il sera donc inévitable, tôt ou tard, de réviser les promesses associées aux régimes de retraite obligatoire?: leur rendement ne peut pas être garanti pour l'avenir et va nécessairement décroître sous la pression du vieillissement. Ce qui suppose, pour assurer des retraites suffisantes aux salariés les plus modestes, de rompre avec un modèle dit « bismarckien » de retraites proportionnelles aux montants cotisés pour passer à un modèle plus « beveridgien » de solidarité avec les plus modestes, les autres salariés devant effectuer par eux-mêmes un effort supplémentaire de préparation à leur retraite. Ce qu'ils font d'ailleurs indirectement avec l'immobilier, l'assurance-vie...Dans notre contexte démographique, instaurer un système de retraite moderne, souple et plus équitable supposerait de raisonner exclusivement en comptes notionnels ou en points, pour adapter au fil de l'eau les rendements des régimes à ce qu'ils peuvent réellement verser, tout en évitant les couperets des annuités et des âges légaux. Les régimes Agirc-Arrco, dont on parle bien peu mais qui assurent près de 40 % du montant total des retraites obligatoires du privé, fonctionnent ainsi en points. Combiné à une garantie de minimum à la retraite, un système notionnel ou en points s'adapte facilement aux orientations politiques privilégiées par les citoyens?: dans une vision très redistributive, les minimums sont élevés et les cotisations des salariés mieux lotis s'apparentent essentiellement à des impôts de solidarité?; dans une approche plus libérale, les garanties sont plus faibles et la progressivité des taux de remplacement est plus forte.Une réforme systémique permettrait aussi d'unifier aisément régime de base et complémentaire obligatoire, ce qui simplifierait grandement la compréhension du système des retraites et le calcul des pensions que chacun peut espérer. Ce serait aussi l'issue logique des rapprochements engagés depuis les années 1990 entre les anciennes caisses sectorielles de l'Agirc et de l'Arrco, dont les règles sont aujourd'hui identiques.Le grand mérite des régimes notionnels ou en points est finalement de renvoyer à chacun le choix d'arbitrer entre durée d'activité et niveau de pension, dont le système doit garantir un plancher. De retrouver de la souplesse sur le montant des retraites, ce qui est essentiel compte tenu des contraintes financières des régimes. Et finalement d'articuler au mieux liberté et responsabilité, ce qui devrait guider pour l'avenir les nombreuses réformes des régimes de protection sociale qui nous attendent.
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