« Les distributeurs français ont verrouillé le marché du hard discount »

On observe en France une légère poussée inflationniste. Redoutez-vous une amplification ?Si on prend le cas de l'énergie c'est patent. Les augmentations validées par le gouvernement des tarifs régulés de l'électricité ne se justifient pas. Le gaz a également augmenté dans des proportions inadmissibles. Résultat : GRDF a observé une explosion des coupures imposées aux abonnés qui ne peuvent plus payer. De 10.000 en 2008, on est passé à 300.000 prévues pour 2010. C'est bien qu'il y a un problème de prix.N'est-ce pas plutôt le signe qu'il y a un problème de pouvoir d'achat ?Il faudrait qu'un jour on cesse d'aborder le problème du pouvoir d'achat en se polarisant sur les seuls revenus. Le niveau des prix est tout aussi déterminant. Notre expertise en tant qu'association de consommateurs se porte précisément sur la façon dont se forment les prix. Et aujourd'hui, par exemple dans les produits alimentaires, les hausses sont déconnectées des coûts de production. Qu'il s'agisse du lait, dont il a été beaucoup question cet été, ou de la viande, il n'y a plus aucune corrélation entre ce que perçoit le producteur et ce que paie le consommateur. Je vous parle là de produits peu transformés, dans lesquels la matière première représente 70 % du coût de revient. Ce phénomène n'est pas inéluctable. La preuve : pour les fruits et légumes, on a trouvé des solutions.Il a fallu que l'État s'en mêle...Eh bien, il est dans son rôle. Nous n'avons jamais été pour un retour au contrôle des prix. Nous acceptons l'économie de marché, mais nous préconisons la mise en place d'un mécanisme étatique de régulation des marges. Il s'agit juste d'instituer, pour certaines catégories de produits, un coefficient multiplicateur maximal qui s'applique en cas de dérapages injustifiés.Le même pour tous les produits ?Bien sûr que non. Il faut regarder comment se forme le prix, catégorie par catégorie. Mais puisqu'il existe en France un observatoire des prix et des marges, on pourrait s'appuyer dessus. Cet organisme qui réunit producteurs, distributeurs et consommateurs serait bien placé pour fixer une marge de référence, filière par filière. L'État n'interviendrait que lorsque les prix dérapent à cause de marges qui s'envolent.Pourquoi n'êtes-vous pas entendu ?Nous nous appuyons toujours sur des études sérieuses que mènent nos économistes, nos juristes ou nos ingénieurs. Le problème, c'est que nous nous attaquons bien souvent à des rentes de situation. En face à nous, il y a des lobbys puissants qui utilisent avec habilité le chantage à l'emploi.Les négociations entre les industriels et la distribution restent tumultueuses. Pourquoi ce rapport de force ne profite-t-il plus aux consommateurs ?On a laissé en France la bride sur le cou à la grande distribution parce qu'elle avait su mettre à la disposition du plus grand nombre des biens à des prix les moins élevés possibles. Mais elle s'est « embourgeoisée ». Certains ont choisi de devenir des géants mondiaux et ont eu besoin de marges pour payer leur développement international. D'autres se sont constitués en une génération de véritables fortunes. Les grands de la distribution appliquent un Yalta du territoire : ils se sont réparti les principales zones de chalandise. Dans certains cas, on a une situation de quasi monopole, avec des prix qui sont alors 10 % plus élevés que la moyenne. Chez nos voisins allemands, la concurrence joue et les prix sont nettement moins élevés. Mais les distributeurs français ont verrouillé le marché pour empêcher les hard discounteurs allemands de se développer. Voilà pourquoi le hard discount reste plus cher en France qu'en Allemagne. N'est-ce pas aussi le signe que les associations de consommateurs ne sont pas assez puissantes en France ?UFC Que Choisir est la quatrième ou cinquième association de consommateurs dans le monde. Mais nos compatriotes, réputés râleurs, restent individualistes. Prenez le cas de la téléphonie mobile. On fait miroiter le prix très bas du téléphone en obligeant le consommateur à s'engager sur de longues périodes avec des forfaits. Résultat : la concurrence ne peut jouer que tous les deux ans et les tarifs sont parmi les plus élevés d'Europe.Free veut mettre fin à cette logique.C'est ce qu'il a annoncé. Nous ne sommes pas en bons termes, mais je dois reconnaître qu'ils ont innové sur le plan économique en étant notamment les premiers à lancer le triple play [abonnement télé + Internet + téléphone, Ndlr]. Ça a fait bouger les autres. Je leur reproche en fait de maltraiter leurs consommateurs avec des hot-lines sous-dimensionnées. Nous ne sommes pas une association qui défend les prix bas à tout prix.Les « class actions » n'ont toujours pas vu le jour en France. Quand parviendrez-vous à convaincre les politiques ?Nous avons un opposant systématique et irraisonné : le Medef. Le résultat est que les victimes ne sont jamais indemnisées. Quand un litige concerne une masse de personnes, il faut bien qu'il puisse y avoir en face une procédure de masse ! Et qu'on ne nous dise pas que cela s'oppose à la Constitution. Nous avons fait travailler des juristes renommés, il n'y a aucun problème. A Bruxelles, les commissaires à la Justice, à la Concurrence et à la consommation travaillent sur ce dossier. Car, côté français, Bercy, Matignon et l'Élysée y restent obstinément opposés. Pourquoi ne pas faire signer une charte sur la consommation aux candidats à la présidentielle de 2012 ?On y songe. La consommation est au carrefour d'enjeux majeurs : le développement durable, le pouvoir d'achat, l'éthique, les libertés individuelles, la santé... Pourtant, elle reste le parent pauvre des débats politiques. Aux dernières présidentielles, l'écologie a fait son entrée dans le débat grâce à Nicolas Hulot. Alors, oui, un pacte consumériste à la présidentielle de 2012, ce serait une bonne chose et un signe de plus grande maturité de la société.
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