La fête des « pères de famille » boursiers

On sait que la place des hommes dans la société n'en finit pas de subir des mutations profondes. L'homme de 2010 est bien loin du modèle défendu par Jean Cau qu'on a pu revoir récemment dans un reportage d'époque face à Benoîte Groult. Mais il y a un homme qui, lui, est carrément tombé de son piédestal, est complètement perdu, n'a plus aucun point de repère et serait d'ailleurs prêt à céder aux femmes ce lourd fardeau qui pèse sur ses épaules. C'est « le père de famille » boursier. Il y a encore quelques années, mais cela paraît déjà dater de plusieurs siècles, il existait une expression consacrée : gérer son argent en père de famille. Cette expression avait une connotation un peu péjorative. Gérer en père de famille, c'était prendre peu de risques pour garantir son capital quitte à obtenir un rendement faible, mais néanmoins suffisant, pour subvenir aux besoins complémentaires de la famille, aux éventuels coups durs de la vie et à un complément de retraite bien méritée. Gérer en père de famille, c'était ouvrir un livret A pour chaque membre de la famille, investir dans des emprunts d'État directement ou à travers un contrat d'assurance-vie et avoir un PEA dans lequel on mettait, là encore, des valeurs de père de famille, des belles valeurs du CAC 40 qui « sur la durée ne pouvaient que s'apprécier ». À cette époque bénie, la solidité des banques et des compagnies d'assurances n'était jamais remise en doute, le CAC 40 fluctuait mais finissait toujours par monter « si on gardait ses actions plus de dix ans » et les États constituaient un refuge absolu, une Mère Patrie financière dont la solidité ne faisait même pas débat. Tout cela est fini. OUT. À l'époque des « femmes cougars », le père de famille boursier est aussi dépassé que le macho à poils de torse apparents. La crise, que dis-je, les crises sont passées et repassées par là et ce n'est pas terminé. Les banques n'inspirent plus confiance : elles peuvent faire faillite. Les compagnies d'assurances n'inspirent plus confiance : elles peuvent faire faillite. Les grandes entreprises n'inspirent plus confiance : elles peuvent faire faillite. Même les États n'inspirent plus confiance : ils peuvent eux aussi faire faillite !Et notre pauvre père de famille ne s'est pas recomposé une nouvelle gestion (notez le jeu de mots entre « famille » et « recompos頻). Il erre, hagard, aux abords d'un palais de la Bourse inactif depuis bien longtemps en cherchant une nouvelle voie. Et personne ne l'aide. Car personne ne sait ce qu'est une gestion de père de famille aujourd'hui. Le livret A n'a pas disparu mais franchement, avec les taux d'intérêt qu'il offre, le père n'aura bientôt plus que du pain rassis à offrir à sa famille. Les contrats d'assurance-vie en euros sont toujours là et attirent toujours autant, car on préfère ne pas se poser la question de savoir ce qu'il adviendra au contrat lui-même et à la compagnie d'assurances qui le garantit si un grand pays rééchelonnait sa dette pour éviter la faillite. Et le CAC 40 attire peu car il est devenu aussi volatil, parfois plus, que le cours des petites entreprises dites à risque et pour investisseurs avisés. Alors notre pauvre bougre se rue sur des lingots d'or physique qu'il planque sous son matelas. Du coup, il ne dort plus car il veille jour et nuit sur la seule garantie de son avenir financier qu'un voleur finira par lui dérober ou que le gouvernement finira par lui ponctionner. Que peut-on dire à notre pauvre bougre qui va, en plus, perdre la plus grande partie de sa retraite que l'État, lui-même, ne pourra plus payer ? Qu'un père de famille doit être vigilant, en veille active, que rien n'est acquis, qu'il faut être mobile, flexible, souple. Qu'il doit être prêt à sauter sur la Bourse quand elle est basse, la vendre quand elle est haute, accepter d'être pendant les tempêtes intégralement en cash, que les obligations d'État ne sont plus une valeur refuge et que tout, mais vraiment tout, peut arriver. En gros, qu'il ne dormira plus jamais tranquille. nPoint de vue Marc Fiorentino Fondateur de Allofinance.com
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