La fin de l'eldorado des services à la personne

Le secteur des services à la personne devait être l'eldorado de nos pays vieillissants, fournir des emplois non délocalisables par centaines de milliers et prendre en charge l'armée de vieillards qui arrive?? Voilà que ses professionnels crient à l'abandon par les pouvoirs publics?! Toute proposition d'assainissement des finances publiques est vécue par eux comme une agression?: la députée de Meurthe-et-Moselle, Valérie Rosso-Debord, a proposé cet été de réduire le nombre de bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) qui a fait les choux gras du secteur, et de rétablir un recours sur succession des bénéficiaires. Elle a aussi proposé de créer une assurance des personnes contre la perte d'autonomie auprès d'établissements privés, qui serait souscrite à partir de 50 ans. Une manière d'enterrer le cinquième risque qui, au début du mandat de Nicolas Sarkozy, devait financer la dépendance, en le remplaçant par une assurance individuelle, comme le demandent les assureurs. On redoute que la réfome de la dépendance, qui doit venir après celle de la retraite, ne reprenne intégralement ces propositions. Et voilà qu'il se murmure que l'on pourrait rogner dès 2011 les niches fiscales sur l'aide à domicile, quand celle-ci est assurée par une entreprise. Bref, tous les piliers de la profession sont en passe de se fissurer. Pour un secteur qui a grassement vécu de la subvention publique, il y a bien le feu au lac.Flash-back. Lorsqu'en 2001 on crée l'APA, sans condition de ressources, pour remplacer la prestation spécifique dépendance, alias PSD, on crée les conditions d'un nouveau marché. Quatre ans plus tard, la loi Borloo crée le chèque emploi-service universel (Cesu) et offre des exonérations de cotisations pour les prestataires, une TVA réduite à 5,5 %, et surtout un agrément plus facile. Cette loi de juillet 2005 génère un fantastique appel d'air. Avec la mobilité des jeunes et la décohabitation des générations, le rétrécissement des familles et l'activité accrue des femmes, sans oublier le vieillissement des baby-boomers, tous les ingrédients sont là pour faire exploser le marché.Les associations, alors en quasi-monopole, voient arriver des prestataires privés en masse?: les effets d'aubaine sont tels que les demandes d'agrément explosent. Dans les quartiers les plus favorisés des grandes villes et dans les riches zones littorales, nombre de franchisés s'installent sous l'ombrelle d'une marque?: les Age d'or, Adhap, Domidom (qui est d'abord un réseau intégré) fleurissent dans les villes grandes et moyennes et, dès 2006, mettent le turbo pour imposer leur marque sur l'ensemble du territoire. Toutes visent le marché du grand âge, où l'heure d'accompagnement en déplacement se vend 30 euros TTC en moyenne, contre 20 à 22 euros pour une heure de ménage. En quatre ans, le service à la personne crée 338.000 emplois selon la FESP, dont 47.000 par les entreprises privées.Il faut dire que ces dernières bénéficient d'avantages décisifs sur les associations?: un simple agrément leur suffit pour s'installer, là où les secondes doivent obtenir une autorisation plus contraignante du département?; elles bénéficient de la liberté de tarif, quand les secondes se voient imposer les leurs par les conseils généraux, souvent inférieurs à leur coût de revient?; à partir d'un certain nombre d'agences, les entreprises parviennent à mutualiser coûts informatiques et administratifs, quand les associations locales peinent à dégager des effets d'échelle. Enfin, alors qu'elles ne sont tenues qu'au respect du Code du travail et peuvent payer leurs salariés au Smic pendant vingt ans, les associations sont soumises à la convention collective de 1983 où l'ancienneté évolue comme dans la fonction publique, ce qui entraîne un coût de l'heure sensiblement plus élevé. Résultat, s'il faut bien un certain nombre d'agences pour atteindre le point mort, grâce aux aides publiques le filon peut s'avérer assez rentable.Pourtant, le marché reste globalement aux mains des associations (23 % des 21,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2009) et surtout de l'emploi direct (37 %), tandis que le travail au noir capte encore, selon la FESP, 30 % du marché. Les entreprises, elles, ne pèsent que 4 %. Mais leur arrivée bouleverse les usages?: avec une qualité de service mieux maîtrisée, parfois même certifiée, elles obligent les associations à professionnaliser leurs prestations, avec du personnel plus qualifié, donc plus cher. Aussi, alors que l'essentiel de leur financement dépend du département, et que les missions d'aide se réduisent quel que soit le financeur, nombre d'associations deviennent déficitaires. Depuis dix-huit mois, beaucoup ont disparu ou fusionné.Bref, l'euphorie d'hier a tourné à la crainte que l'État, qui ne contrôle plus son coût pour les finances publiques, ne ferme le robinet d'or. Alors que, en 2001, 130.000 personnes bénéficiaient de la PSD, on compte pas moins de 1,1 million d'allocataires de l'APA en 2010 pour un montant de 5,7 milliards d'euros, dont 70 % à la charge de départements. Un véritable guichet ouvert dénonçait l'Igas dans son rapport 2010. Auquel il faut ajouter 3,5 milliards de crédit d'impôt pour les particuliers, 820 millions au titre de la TVA réduite pour les associations et les entreprises, sans oublier les exonérations de charges sociales pour les particuliers employeurs et les structures agréées, qui s'élèvent à 1,6 milliard ! À noter que les seules entreprises privées bénéficient de 960 millions d'exonérations de charges sociales, soit autant que... leur chiffre d'affaires ! Un gouffre.Les acteurs du service à la personne sentent bien que leur âge d'or est révolu?: « Ce secteur vit plusieurs crises concomitantes », reconnaît Luc Broussy, de l'Association des départements de France. Une crise d'identité, avec une guerre larvée entre entreprises et associations qui revendiquent le monopole de l'économie sociale. Une crise de maturité et d'organisation, et surtout une crise de modèle économique. « Trop haut pour les usagers, mais trop bas pour l'amélioration de la qualité, le système de tarification à l'heure est à bout de souffle », précise Luc Broussy. Conscients de l'ampleur de la crise, les professionnels, en particulier issus du monde associatif, ont travaillé pour faire des propositions aux pouvoirs publics. Ce qu'ils veulent, c'est un système de dotation globale pour service rendu, comme dans le conseil ou l'expertise comptable. Une refonte complète du système donc, mais toujours sous perfusion publique. Reste à savoir quel sera, dans la réforme de la dépendance annoncée par Nicolas Sarkozy pour 2011, le nouvel équilibre entre subvention publique et assurance privée.Valérie Segond
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