Les expérimentations poétiques de M. Kertész

Henri Cartier-Bresson le tenait pour l'un des plus grands. Aux yeux de bon nombre de photographes du XXe siècle, André Kertész (1894-1985), c'est le patron. Probablement parce qu'il a su conjuguer comme nul autre photographie expérimentale et recherche poétique, annonçant à travers ses essais le travail à venir de ses pairs. En témoigne l'exposition magistrale que lui consacre le Jeu de paume et dont « La Tribune » est partenaire. Cette rétrospective, d'une rare intelligence, fourmillant de vintages (tirages d'époque) parfois minuscules, croise sa vie et son oeuvre, révèle sa manière de travailler, permettant aux néophytes de se familiariser avec cet ensemble unique. Et aux spécialistes de découvrir bon nombre d'inédits.C'est en Hongrie que tout a commencé pour ce fils de la bourgeoisie. À l'aube de la Grande Guerre, Kertész travaille dans la finance. Et se passionne pour la photographie. Mais au style pictorialiste léché de ses années-là, lui préfère immortaliser ce qui l'entoure sans effets. Comme le ferait un peintre avec son carnet de croquis. Grièvement blessé sur le front en 1915, envoyé ensuite en mission à l'arrière, Kertész ne déroge pas à ses habitudes. Il photographie les soldats dans leur quotidien, loin des combats qui ravagent les tranchées.C'est aussi pendant le conflit qu'il réalise sa première « distorsion » en 1917. Celle d'un nageur en pleine action dont le corps s'étire sur l'image. Un effet obtenu grâce aux ondulations de l'eau. Des années plus tard, à Paris, Kertész soumettra le corps des femmes à des miroirs déformants. Car notre homme a choisi de s'installer dans la Ville lumière en 1925, persuadé qu'on y comprendrait mieux son travail photographique qu'en Hongrie.Sauf que les temps sont durs, les commandes rares. Ce qui ne l'empêche pas d'imaginer une extraordinaire série de portraits d'artistes sous forme de natures mortes dans lesquelles ces derniers sont représentés par les objets qui les caractérisent. Pour évoquer Mondrian, il s'est focalisé sur les lunettes et la pipe de ce dernier. En 1928, le magazine « Vu » lui offre d'autres débouchés. Et lui permet surtout d'inventer le genre du photoreportage en l'envoyant couvrir non pas l'actualité chaude mais un sujet défini à l'avance comme le quotidien des moines de la Trappe de Soligny.Mais Kertész gagne si peu sa vie qu'il accepte d'aller travailler à New York. Il y restera jusqu'à sa mort. Son travail personnel, saisi dans les rues désertées de Manhattan, sur les toits ou de sa fenêtre, révèle un profond sentiment de solitude. « J'interprète ce que je ressens à un moment donné. Pas ce que je vois, mais ce que je ressens », tenait à préciser le photographe. Yasmine Youssi Exposition présentée jusqu'au 6 février (site Concorde). www.jeudepaume.org
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