La nouvelle donne du « grand jeu économique » mondial

Dans « Comprendre le monde », un ouvrage aussi limpide que son titre, Pascal Boniface reconnaît que nombre d'acteurs sont venus concurrencer les États. Au point, ironisent certains, que ces derniers sont devenus « trop grands pour les petites choses et trop petits pour les grandes ». Contestés, souvent contournés par les multinationales, les marchés, les ONG, sans oublier cette nébuleuse d'« illégaux » allant des mafias aux terroristes, ils demeurent la référence ultime. Il n'est d'ailleurs pas anodin que dans un monde réputé sans frontières, « les frontières restent un facteur clé des relations internationales ».Si la lutte des États pour asseoir leur suprématie ou éviter leur marginalisation continuera longtemps de modeler la planète, le concept classique de la puissance a dû évoluer, tant la force économique « est devenue un critère majeur » pour imposer sa volonté aux autres. C'est à cette aune que l'auteur met en garde contre toute confusion entre les événements, aussi importants soient-ils, et les véritables ruptures historiques. Ainsi, le 11 Septembre illustre la face tragique de la mondialisation et la vulnérabilité des États-Unis. Mais la vraie rupture n'est pas « le 11-9 mais le 9-11 »... 1989, date symbole de la fin d'un monde bipolaire avec la chute du mur de Berlin.Depuis lors, le monde est en « recomposition ». Sans être encore multipolaire, souligne le directeur de l'Iris (Institut des relations internationales et stratégiques). Les États-Unis d'Obama sont seuls à pouvoir manier les deux types de puissance, la « soft power » par l'effet d'attraction et la « hard power » par leurs moyens économiques et militaires. Et leur affaiblissement n'est que relatif face à une Europe marginale, en termes stratégiques, comme face à l'Asie, en dépit de l'essor exceptionnel de la Chine. Quant à la Russie, elle n'a pas retrouvé, tant s'en faut, son poids du temps de l'URSS.Au total, le G20 ne marque pas une « rupture » et l'avènement d'une multipolarité, comme d'aucuns l'ont annoncé, mais une tendance lourde, avec l'émergence de nouveaux pôles de puissance. De quoi, il est vrai, perturber cette « immense assemblée de copropriétaires » qu'est devenue la planète, pour reprendre l'expression d'Hubert Védrine. Avec ses premiers rôles et ses figurants, mais aussi ses squatters, ses mafias et terroristes dont l'auteur rappelle le poids économique : à lui seul, le crime organisé s'arrogerait quelque 10 % de la richesse mondiale. Plus que la Chine...Si dans cette course au leadership, l'économie joue un rôle central, la maîtrise technologique constitue un atout maître. Dans « les États en guerre économique », Ali Laïdi décrypte la « face sombre » de la conquête des marchés, ce vecteur de puissance. Il décrit, exemples à l'appui, des pratiques à la croisée des affaires et de la diplomatie, du sécuritaire et de l'espionnage. Certes, la « guerre économique » est vieille comme le monde. Mais avec les nouvelles technologies, la bataille de l'information a pris une ampleur sans pareille. Or, sur ce terrain, l'« État dispose d'une double place de choix, celle de l'arbitre et du joueur ». Arrive toujours un moment où les multinationales retrouvent leur nationalité pour en appeler à son soutien...Trop proche d'une actualité mouvante pour être toujours convaincant sur la crise financière, Ali Laïdi l'est plus quand il analyse les trois grands fronts de la guerre économique où les États seront en première ligne : celui de l'espace, où les satellites, militaires ou commerciaux, provoquent un singulier embouteillage, à 36.000 kilomètres d'altitude?; celui des zones maritimes, où vont se jouer les règles de la souveraineté sur l'exploitation des fonds sous-marins?; celui de la conquête des terres arables dans un contexte social et humanitaire tendu.De même, l'auteur décortique avec clarté les méthodes des principaux protagonistes d'une des clés de la puissance, l'intelligence économique. Le « prétexte terroriste » a ainsi permis aux États-Unis de marquer des points, sans réciprocité de la part des Européens. Les informations accumulées par l'obligation imposée aux compagnies aériennes ou portuaires de livrer des données sur les passagers ou les conteneurs en constituent un exemple édifiant. Et c'est l'intervention d'agences fédérales spécialisées, comme l'International Revenue Service, mais aussi de la CIA, qui a permis de fissurer le secret bancaire suisse.En Chine, la stratégie « capitalo-confucéenne » d'un État stratège fait merveille, même si « les entreprises chinoises en sont au stade préhistorique de l'intelligence économique ». Entre les deux, l'Union européenne fait pâle figure. Et Ali Laïdi de stigmatiser une absence de doctrine, le réveil tardif de certains États ? la France ne mesure que depuis peu l'importance de l'intelligence économique ? et la volonté des eurocrates de ne pas se brûler avec cette « patate chaude ». On le voit au fil de ces deux ouvrages, ce que Raymond Aron appelait « une paix belliqueuse » s'est instauré sur le front de l'économie mondialisée. Et le « doux commerce », facteur de paix, célébré par Montesquieu est à repenser. Françoise Crouïgneau « Les États en guerre économique », d'Ali Laïdi. Seuil (330 pages, 20 euros).« Comprendre le monde », de Pascal Boniface. Armand Colin (290  pages, 19 euros).
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