Vers une renaissance du luxe

En se tournant vers la première décennie des années 2000, le bilan est des plus paradoxaux pour le monde du luxe. Cette période demeurera celle du sacre du logo, du triomphe du signe sur le sens. Dans leur course au gigantisme, les marques ont été contraintes à convoiter une clientèle toujours plus large. Elles ont, alors, prudemment, mis de côté toute radicalité créative pour un goût plus mesuré, banalisé et standardisé. Les rares maisons ayant su, subtilement, maintenir leur aura tout en se lançant dans un développement forcené ont consolidé leur place dans le secteur. Ces « superbrands » sont devenus des « hyperbrands », la crise n'ayant qu'accentué ce mouvement. Aux quatre coins du globe, ces quelques maisons multiplient leur offre de produits, des parfums aux montres, des bijoux au prêt-à-porter en passant par des sacs, des accessoires et des souliers.À coup de campagnes de publicités, d'images choc et de « people », les hyperbrands élaborent des stratégies mondiales pour briller, constamment, sur la grande scène de la nouveauté. Défilés, lancements réguliers de produits, expositions ou inaugurations de boutiques sont les prétextes idéaux pour réaffirmer leur omniprésence et pour accroître leur notoriété.Alors que le luxe n'a jamais autant fasciné, ses représentations ont perdu un peu de leur éclat au cours de ces dernières années. L'usage même du mot luxe a été exagéré. Ses contours ont été brouillés. En réponse aux comportements hédonistes des consommateurs, les marques ont mis au coeur de leur communication le désir pour séduire de nouveaux clients. L'expansion accélérée a marginalisé les notions d'exclusivité, de tradition et d'héritage. Or, ces valeurs sont les fondamentaux de ces métiers. Dans un même élan, les autres marques de consommation ont bousculé les codes classiques en reprenant l'imaginaire du précieux et du rêve.On ne peut que constater que ces grandes manoeuvres ont porté leurs fruits. Certaines griffes prestigieuses ont réussi à concentrer une puissance considérable. Contrairement aux effervescentes années 1990 et malgré le talent de créateurs comme Anne Valérie Hash, Bruno Pieters, Felipe Oliveira Baptista, Commuun, Boudicca ou Richard René, les hyperbrands n'auront pas permis l'établissement de nouvelles signatures. On a préféré réanimer de vénérables maisons endormies.« Hyper » par leur taille et « hype » parce qu'à la pointe des tendances, les marques seront confrontées dans les années à venir à de nouveaux défis. Malgré les succès passés, le temps est venu d'un nouveau départ. La gestion de la taille de ces maisons est un premier défi. La rentabilité relative de la trois centième boutique est bien inférieure à celle de la première. Avec des investissements sans cesse plus lourds et une rude compétition pour les emplacements stratégiques, les marques vont devoir considérer différemment leurs prochains développements. Sinon, les engagements financiers importants consentis pourraient, à terme, fragiliser ces entreprises.Dans un paysage modifié, ce sont, également, les critères de choix des clients qui vont évoluer : l'esthétique et la qualité vont certainement primer sur l'ostentation. L'objet va revenir au centre des préoccupations. La personnalisation permettra, peut-être, de conférer un caractère plus rare et exclusif aux produits. L'enjeu est, pour la marque, de maintenir sa capacité à partager une communauté de valeurs avec ses clients. De nouvelles idées, encore lointaines de nos jours dans le secteur, vont devenir incontournables comme la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Les produits devront prendre en compte ces exigences.Enfin, les marques vont devoir s'approprier les nouvelles technologies tout en cultivant leur singularité et leur différence. De simples boutiques en ligne ne sauraient suffire. L'achat en quelques clics risquerait de banaliser les produits en dématérialisant le lien entre l'objet et le client. Les marques devront trouver des modèles innovants pour se transformer et s'adapter à un monde en changement. Les marques seront confrontées, demain plus qu'aujourd'hui, à un impératif d'intégrité, au sens de cohérence et d'authenticité. Sans nostalgie, le luxe doit définir une nouvelle grammaire pour retrouver tout son enchantement et son audace. ?Point de vue Serge Carreira Maître de conférences à Sciences po
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