Derrière tout capitaliste, il y a un pirate

Les pirates sont à la mode, à Hollywood mais aussi dans la théorie. Des travaux académiques érudits de l'historien marxiste Marcus Rediker, qui voit en eux un prolétariat en révolte, aux analyses libérales de l'économiste Peter Leeson, qui les qualifient de démocrates radicaux et agents rationnels, en passant par l'anarchiste Hakim Bey qui leur attribue l'origine de ses célèbres TAZ (zones d'autonomie temporaire), les rebelles des mers fascinent.Dans leur livre « l'Organisation pirate », Rodolphe Durand, professeur à HEC, et Jean-Philippe Vergne, chercheur en sciences sociales, reprennent l'ensemble des travaux sur le sujet en l'étendant aux cyberhackers, à la biopiraterie entraînée par le séquençage du génome, ou encore aux perspectives ouvertes par les nanotechnologies. Surtout, ils défendent une thèse : « L'organisation pirate et les actes de piraterie qui en découlent ne sont pas des accidents de l'histoire qui surviendraient par surprise, à la manière d'un braquage de banque, mais bel et bien des événements indissociables de la dynamique interne du capitalisme. » Pour argumenter leur propos, ils s'aident des travaux du philosophe Gilles Deleuze et du psychanalyste Félix Guattari, en particulier les deux tomes de « Capitalisme et Schizophrénie » publiés dans les années 1970, « l'Anti-?dipe » et « Mille Plateaux ». Deleuze et Guattari montrent en effet que la formation du capitalisme est consubstantielle à l'émergence de l'État souverain. « Deux mouvements dialectiques structurent la montée en puissance du capitalisme : d'une part, la déterritorialisation du capital et du travail et leur reterritorialisation dans l'espace des échanges ; d'autre part, la normalisation de cet espace des échanges qui définit des critères de légitimité pour ces derniers et exclut de facto certaines modalités de circulation des marchandises », indiquent Durand et Vergne, adoptant l'approche deleuzienne. Le pirate est évidemment celui qui ne veut pas se conformer à la création d'une nouvelle norme par le pouvoir légal et doit fuir vers de « nouveaux territoires », que le capitalisme cherchera à investir à son tour. On comprend dès lors le rôle majeur innovant que joue la piraterie - et son organisation- dans l'évolution du capitalisme. Loin d'être son ennemie, elle en est l'un de ses moteurs.Robert Jule
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