Quand le recentrage tient du mirage

Les collants Dim et Well, le cirage Kiwi, le saucisson Cochonou, les gels douche Monsavon ou Sanex, les pâtes à tarte Croustipate, les cacahuètes Benenuts, les cafés de Maison du Café, les dosettes Senseo... la liste des marques ayant un jour appartenu à Sara Lee tient un peu de l'inventaire à la Prévert. De ce catalogue, toutefois, le groupe américain n'a pas conservé grand-chose. Depuis dix ans, il n'a cessé de rétrécir, se délestant de la quasi-totalité de ce portefeuille, et il a annoncé fin janvier son intention de se scinder l'an prochain avec, d'un côté, ses activités dans la viande (4,1 milliards de dollars de chiffre d'affaires) et, de l'autre, ses cafés et sa boulangerie industrielle (4,6 milliards de dollars au total). Cette scission est plutôt bien accueillie par la Bourse, chacune des deux entités étant sans doute plus apte à trouver un repreneur. Mais elle signera quand même la fin d'un ex-géant des biens de consommation.En 2000, avec 20 milliards de dollars de chiffre d'affaires, Sara Lee était en effet deux fois plus gros que Procter & Gamble. Désormais, ce dernier frôle les 80 milliards de dollars de ventes, quand Sara Lee peine, lui, à atteindre les 9 milliards de dollars ! Comment Sara Lee en est-il arrivé là ? À coups de recentrages successifs, mal choisis et mal maîtrisés.Première erreur, le groupe de Chicago, présent à la fois dans l'alimentaire, les produits d'hygiène et l'habillement, décide en 2000 de miser plus fortement encore sur ce dernier secteur. Il s'offre le britannique Courtaulds, connu notamment pour ses collants Well et grand spécialiste des tissus d'habillement et d'ameublement. Mauvaise pioche. Courtaulds est surtout présent en Europe, très dépendant du distributeur Marks & Spencer, à un moment où, dans ce domaine, tout se passe déjà en Asie. Cinq ans plus tard, Sara Lee se débarrassera complètement de sa branche textile-habillement.En 2001, pendant que son rival Procter débourse 5 milliards de dollars pour le spécialiste des produits capillaires Clairol, Sara Lee décide, lui, de se renforcer dans la boulangerie industrielle et les pâtes à tartes. Il lance une OPA de 1,7 milliard de dollars sur son compatriote Earthgrains (lui-même issu d'une scission du brasseur Anheuser-Busch). L'opération lui apporte 2,6 milliards de dollars de chiffre d'affaires. Mais, jugée très chère, elle suscite beaucoup de scepticisme. « Sara Lee fabriquait déjà des tee-shirts blancs et des culottes blanches. Maintenant, il fera aussi du pain blanc. À part cela, cette transaction n'est pas très palpitante », ironise alors John McMillin, analyste chez Prudential Securities. Le problème, c'est que, dans l'alimentaire, Sara Lee manque de marques mondiales fortes capables de faire la différence dans la grande distribution. Earthgrains lui apporte Croustipate et Patrick Raulet en France, ou bien les pains Bimbo en Espagne. Des jolies marques, sans doute, mais dont la notoriété demeure très locale. À la même époque, Procter & Gamble, le néerlandais Unilever ou le français L'Oréalcute;al commencent à élaborer leurs stratégies de recentrage sur des marques blockbusters, susceptibles de réaliser plus de 1 milliard de dollars de chiffre d'affaires. Un virage que Sara Lee n'abordera qu'en 2005.Secteurs d'activité en perte de vitesse, manque de marques mondiales... Sara Lee souffre aussi de l'absence de vision stratégique de ses dirigeants. Au milieu des années 2000, Danone peaufine son recentrage sur l'alimentation santé. Procter choisit d'être le leader mondial des produits d'hygiène et de soins corporels et s'offre, début 2005, son compatriote Gillette. Pour 57 milliards de dollars, quand même ! Au même moment, Sara Lee nomme à sa tête une PDG à poigne, Brenda Barnes, ex-dirigeante de PepsiCo. Sous sa houlette, le groupe entame une longue liste de cessions : la lingerie, la charcuterie européenne, les graines salées Benenuts. Le mouvement s'accélère en 2009 avec l'hygiène corporelle (Sanex, Monsavon, Williams...), les désodorisants (Ambi Pur), les cirages, les insecticides. Au final, presque tout y passe. Brenda Barnes quitte son poste pour raisons de santé. Et le groupe, lui, se retrouve réduit à deux branches d'activité. La viande, d'un côté. La boulangerie et surtout le café, de l'autre, où Sara Lee tente de profiter de l'explosion des ventes de dosettes, face notamment à un Nestlé qui a fait de son système Nespresso une vraie machine à cash. Quelles synergies entre ces deux pôles résiduels ? Aucune. Mieux vaut donc les séparer, a conclu le conseil. Et tirer un trait sur l'ancien géant de la consommation.drL'analyse
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