Rupert Murdoch, l'indétrônable

Rupert Murdoch n'aurait laissé cet honneur à personne d'autre. En ce début février, au musée Guggenheim de New York, devant des journalistes triés sur le volet, le magnat australien des médias s'apprête tout simplement à « révolutionner l'information ».S'il a fait le court déplacement depuis le siège new-yorkais de News Corp., sur la sixième avenue, c'est pour présenter son dernier bébé : « The Daily », le premier quotidien exclusivement conçu pour l'iPad. Une tablette dans la main, tout sourire et costume impeccable, il entre enfin sur scène. « Une ère nouvelle réclame un nouveau journalisme », lance-t-il, fier de ce projet qui n'est pourtant qu'une poussière dans l'empire des médias qu'il a bâti (50.000 employés et 33 milliards de dollars de chiffre d'affaires l'an passé).Les cheveux sont blancs - il a arrêté de les teindre depuis peu - mais la voix est posée, le pas sûr, et la forme physique évidente. Seules les profondes rides rappellent son âge. Rupert Murdoch célèbre ce vendredi ses 80 ans, dont 58 à la tête de son groupe. L'heure de passer le relais ? « Certainement pas, assure Kelvin MacKenzie, ancien rédacteur en chef du ?Sun? - un tabloïd de son empire - qui déjeunait récemment avec lui. Il n'y a pas le moindre signe qu'il soit en train de ralentir. Au contraire, il accélère. » Tous ceux qui le connaissent se rejoignent sur ce point : Rupert Murdoch entend continuer encore longtemps. « Je ne crois pas qu'il s'arrêtera un jour », estime Raymond Snoddy, un journaliste britannique spécialiste des médias, qui a longtemps travaillé au ?Times? - un autre de ses journaux. Et il rappelle aux éventuels impatients : « La mère de Rupert a 102 ans et elle est en pleine forme. »Le « tycoon » est d'ailleurs sur le point de réaliser la plus grande acquisition de sa carrière. Début mars, les autorités britanniques lui ont donné le feu vert pour acheter l'intégralité de BSkyB, le bouquet britannique de télévision par satellite, dont il possède déjà 39 %. Le prix de l'offre n'est pas encore fixé, mais il devrait frôler 12 milliards d'euros, un record pour Rupert Murdoch. Que de chemin parcouru pour le magnat de la presse ! En 1953, il n'a que 22 ans quand il hérite de l'entreprise de presse familiale après le décès de son père. « Un beau journal », mais Rupert en veut plus. Il rachète plusieurs titres australiens, puis britanniques (« The Sun », « The Times ») et enfin américains (« New York Post », « The Wall Street Journal »...). Il se diversifie en se lançant dans la télévision payante en Grande-Bretagne, en Asie et aux États-Unis. Il rachète les studios 20 th Century Fox, fonde le réseau câblé Fox et lance Fox News, devenue depuis la première chaîne d'information aux États-Unis.À ses yeux, sa plus belle prise reste le « Wall Street Journal », la bible des milieux financiers. « Plusieurs dirigeants de News Corp. pensaient qu'il s'agissait d'un premier pas vers la retraite, raconte Michael Wolff, auteur d'une biographie autorisée. Ils pensaient que Murdoch voulait arrêter de voyager autant, qu'il voulait passer du temps avec sa femme et ses jeunes enfants et que c'était une excuse pour rester à New York. » C'était mal le connaître : Murdoch est un insatiable. « Ce qui me plaît dans la presse, c'est que l'on peut toujours être meilleur le lendemain », expliquait-il l'an passé lors d'un entretien à la Hoover Institution de l'université de Stanford.Malgré tout, la question de sa succession commence à se poser sérieusement. Seule certitude : le magnat veut que l'empire revienne à ses enfants. La structure du capital ne laisse aucun doute : la famille possède environ 40 % des droits de vote de News Corp., via une entité appelée Cruden Financial Services (« Cruden » est le nom du jardin de sa mère). Mais avec six enfants issus de trois mariages, âgés de 7 à 52 ans, c'est compliqué...L'aînée, Prudence, n'a jamais travaillé à ses côtés (même si elle vient de rejoindre le conseil garantissant « l'indépendance éditoriale » du « Times » !). Les deux enfants issus du troisième mariage de Rupert, avec Wendy - de 38 ans sa cadette - sont en bas âge. Les trois héritiers qui comptent vraiment sont donc ceux du deuxième mariage. Parmi eux, le successeur apparent est James, 38 ans. Il dirige News Corp. pour l'Europe et l'Asie, et l'achat de BSkyB est en grande partie son projet. Très confiant en lui, toujours tiré à quatre épingles, sportif, il a hérité du côté abrasif de son père. « Je le choisirais comme successeur », affirmait l'an dernier Al-Walid ben Talal, un membre de la famille royale saoudienne et deuxième actionnaire de News Corp.Mais James n'est pas seul. Sa soeur Elisabeth, 42 ans, installée à Londres comme son frère, vient de faire un retour très remarqué chez News Corp. : son père a annoncé en février qu'il avait racheté sa boîte de production de télévision pour 300 millions d'euros. Elisabeth avait claqué la porte de BSkyB dans les années 1990 pour monter sa propre société, Shine Group (qui produit notamment « MasterChef » en France). Avec succès.Reste enfin Lachlan, le fils aîné, longtemps considéré comme le successeur naturel. Mais il a claqué violemment la porte en 2005, « en partie parce que son père n'arrivait pas à céder le contrôle », écrit Michael Wolff. Le départ a été passionnel. Lachlan a quitté New York pour l'Australie, où il vit toujours. Il y mène sa propre entreprise et multiplie les acquisitions... dans les médias. À quand son retour dans le giron familial ? « Son père sait que, s'il est patient, son fils reviendra sûrement dans l'entreprise », croit savoir Michael Wolff.La succession n'est cependant pas pour tout de suite. Rupert Murdoch aurait été très fâché des déclarations du prince Al-Walid ben Talal. Et s'il y a une chose dont il déteste parler, c'est de son âge. Il fait tout pour le faire oublier. Il surveille de près son régime (« de la viande rouge pas plus de deux fois par semaine », confie Kelvin MacKenzie), et passe beaucoup de temps à la gym. Selon Raymond Snoddy, « Rupert restera aux manettes, ou au moins impliqué dans News Corp., jusqu'à la fin de sa vie ».Éric Albert, à Londres, et Jérôme Marin, à New York
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