L'entretien d'évaluation, le pire comme le meilleur

Alors que se déroulent ces jours-ci les entretiens d'évaluation dans bon nombre d'entreprises, l'actualité rappelle combien l'exercice peut se révéler absurde et dangereux pour l'équilibre psychologique des salariés. Le 6 janvier, Airbus France comparaissait devant le tribunal de grande instance de Toulouse, pour son système de notation des cadres jugé trop subjectif par la CGT. Depuis un an, ses 10.000 cadres doivent « agir avec courage », « faire face à la réalité » ou bien encore « développer leurs talents ». On rabâche aux salariés l'importance du savoir-être en entreprise, devenu aussi essentiel sinon plus que le savoir-faire. Certes, le travail doit être un lieu où s'exerce des valeurs comportementales et humaines, où l'enthousiasme est plus apprécié que le pessimisme et où l'autonomie prévaut sur le manque d'initiative. Mais doit-on le mesurer ? Que l'on soit évaluateur ou évalué, le système promeut immanquablement l'arbitraire et l'irrationnel. Il fait de la machine à café le lieu de toutes les séductions en vue d'être bien noté. Met les managers face à la difficulté d'exprimer ce qui ne va pas. Et menace la santé des plus investis : en 2006, un cadre d'IBM a été victime d'un arrêt cardiaque après avoir reçu les résultats de son évaluation annuelle.Une nourriture essentielleÀ l'heure où la souffrance au travail fait des ravages, il faut remettre sur le métier la pratique des entretiens d'évaluation. Non que l'exercice doive être voué aux gémonies. Sur le papier, il a des atouts. Dans la pratique, il y a beaucoup à dire. Parce que les managers, le doigt sur la couture du pantalon, y exercent souvent leurs pires travers et ne savent pas entrer dans un dialogue. Les DRH seraient bien inspirés de mettre sur leur table de chevet « Parcours de la reconnaissance » de Paul Ricoeur. Le philosophe y montre comment la reconnaissance fait appel à un processus qui, bien mené, apporte aux individus une nourriture essentielle. « Sans théorie de la reconnaissance, point de théorie de l'agir. » Autrement dit, la demande de reconnaissance fonctionne comme l'attente de confirmation des capacités et de valeurs par les autres. C'est bien ce à quoi les salariés seraient en droit de s'attendre lorsqu'ils vont à leur entretien. On sait que l'individu se constitue en tant que personne à partir du moment où il apprend à s'envisager lui-même à partir d'un « autrui » approbateur et encourageant comme un être de qualités et de capacités positives. A contrario, on sait aussi combien un regard malveillant assorti de jugements à l'emporte-pièce creuse des blessures profondes. Force est de constater que cet « autrui » approbateur fait cruellement défaut dans un univers professionnel régi par des critères de performance où l'humain n'est plus qu'un capital à rendre productif.L'entretien d'évaluation pourrait être le lieu idéal où s'exerce la reconnaissance. Car c'est bien ce besoin qui résonne aujourd'hui comme une plainte dans les enquêtes sur la souffrance au travail. « Je ne suis pas assez reconnu », disent les salariés. Une question d'autant plus cruciale que la relation à l'autre est désormais au coeur de la relation au travail.
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