Nos courageuses amies baltes

CHRONIQUE LE MONDE À L'ENDROIT — L’élection présidentielle en Lituanie ce dimanche met à l’affiche sa première ministre Ingrida Simonyte qui, avec ses deux collègues femmes aux mêmes fonctions en Estonie et en Lettonie sont l’incarnation de la résistance baltique à Vladimir Poutine.
François Clemenceau
François Clemenceau.
François Clemenceau. (Crédits : © LTD / DR)

Lorsque le nom de Kaja Kallas a été évoqué pour devenir dans les prochains mois HRVP, ce qui dans le jargon bruxellois signifie vice-présidente de la Commission et haute représentante de l'UE, autrement dit cheffe de la diplomatie européenne, une source haut placée parmi les Vingt-Sept s'est interrogée ainsi auprès du site Politico : « Allons-nous vraiment choisir pour ce poste quelqu'un qui adore manger des Russes dès son petit déjeuner ? » Dans la foulée, la Première ministre estonienne a répliqué sur son compte X avec une photo de son « vrai » petit-déjeuner, du muesli aux myrtilles. Il y a de la facétie dans cette réponse mais surtout une forme d'incompréhension face à cette partie de l'Europe de l'Ouest qui ne voit toujours pas en quoi résister à Vladimir Poutine est un combat existentiel, surtout lorsqu'on craint d'être, après l'Ukraine, l'un des prochains sur la liste.

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En février dernier, bien avant le président Zelensky, Kaja Kallas, 46 ans, fut la première dirigeante occidentale à être placée sur la liste des personnes recherchées par le ministère de l'Intérieur russe. Avec sa collègue lituanienne Ingrida Simonyte, 49 ans, qui est candidate ce dimanche à la présidence de son pays, et la Première ministre lettone, Evika Silina, 48 ans, en fonction depuis septembre dernier, elles sont en première ligne face au Kremlin. Mais c'est le cas aussi de la présidente de la Géorgie, Salomé Zourabichvili, aux prises avec un gouvernement prorusse qui n'entend pas laisser filer cette nation caucasienne vers l'Europe et l'Otan. Ou de Maia Sandu, la présidente de la Moldavie, exemplaire de dignité et de courage pour affronter les tentatives de déstabilisation de ses institutions par les services russes.

Il y a chez les trois premières ministres des pays Baltes une volonté de se retrouver sur l'essentiel

Mais il y a chez les trois Premières ministres des pays Baltes, en dépit des origines différentes de leurs sociétés sur les plans culturel, religieux ou linguistique, une volonté de se retrouver sur l'essentiel. Est-ce le masculinisme exacerbé de Vladimir Poutine qui les irrite au plus haut point, elles qui ont l'âge d'être ses filles et symbolisent la prise de responsabilité de la génération postcommuniste ? Où était Poutine le 23 août 1989, deux mois et demi avant la chute du mur de Berlin, lorsqu'un tiers de la population balte totale a eu le courage de former une chaîne humaine de 687 kilomètres à travers les trois pays afin de revendiquer l'indépendance vis-à-vis de l'URSS ? L'officier du KGB était en RDA afin d'y superviser les activités de la Stasi, la police politique est-allemande. Loin des pays Baltes, où le président Gorbatchev allait envoyer les chars de l'Armée rouge pour y briser deux ans plus tard, sans succès, l'esprit de la sécession. Mais au tournant du siècle, dès son arrivée au Kremlin, Poutine a multiplié les menaces et les sanctions contre les trois pays Baltes pour qu'ils n'intègrent ni l'Otan ni l'Union européenne. En vain également. À l'époque, en Estonie, le Premier ministre s'appelait Siim Kallas. Son épouse avait été déportée à l'âge de 6 mois avec ses parents vers la Sibérie. Leur fille, Kaja, tient aujourd'hui les rênes à Tallinn avec ce même tempérament de résistante.

À Vilnius, le ministre des Affaires étrangères nommé par Ingrida Symonite se nomme Gabrielius Landsbergis, petit-fils du premier président de la Lituanie indépendante en 1990. « L'Histoire nous apprend que les empires n'ont pas besoin d'être provoqués pour attaquer, me confiait-il moins de six mois après l'invasion russe en Ukraine. Imaginez une attaque surprise de la Russie sur l'un des pays Baltes. Imaginez aussi que cette même Russie propose la paix en échange de garanties territoriales ou politiques : devrions-nous négocier ou nous battre ? Si l'on ne se bat pas pour l'Ukraine, pourquoi voudriez-vous vous battre pour un autre pays attaqué par la Russie ? » Cette question taraude les pays Baltes, membres de l'Otan, alors que l'hypothèse d'un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche n'est pas à exclure en novembre. C'est pour cette raison qu'il faut écouter plus attentivement aujourd'hui les Premières ministres baltes. Elles connaissent la Russie et sa voisine biélorusse autocratique mieux que nous. En Lituanie, Ingrida Symonite a d'ailleurs eu le courage d'accueillir en exil la cheffe de l'opposition biélorusse Svetlana Tikhanovskaïa. Encore une autre femme dont la bravoure force le respect. Est-ce seulement la distance en kilomètres nous séparant des pays Baltes qui engendre chez nous, plus à l'ouest, la tergiversation, quand ce n'est pas chez certains la lâcheté ou le renoncement ?

François Clemenceau

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