Le secteur de la restauration victime d'un trop-plein de concurrence

EXCLUSIF - Selon l’étude annuelle du cabinet Gira, le nombre croissant d’acteurs pèse sur le modèle économique du secteur.
Marie-Pierre Gröndahl
(Crédits : © LTD / Martin Bertrand/Hans Lucas via Reuters)

Si la France est le pays au monde où l'on consacre le plus de temps aux repas, soit deux heures et treize minutes chaque jour, la restauration hors domicile en bénéficie moins qu'avant la crise sanitaire. La fréquentation des divers établissements a en effet régressé en 2023 par rapport à l'année précédente. C'est l'une des révélations majeures de l'étude annuelle publiée par le cabinet spécialisé Gira sur la consommation alimentaire hors domicile (CAHD), dévoilée en exclusivité à La Tribune Dimanche par son fondateur, Bernard Boutboul.

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Expert du secteur, où il a travaillé pendant une dizaine d'années à divers postes - chef de rang, livreur, manager... -, ce consultant s'intéresse depuis 1989 à tous les segments d'un secteur prolifique et multifacette. Restaurants, indépendants ou intégrés à des chaînes (McDonald's, Léon...), mais aussi établissements exploités au sein d'hôtels ou de campings, boulangeries, stations-service, distributeurs automatiques ou encore grandes et moyennes surfaces, tous sont minutieusement auscultés pour détecter les évolutions de la consommation.

Etude

« Il se passe quelque chose de très particulier dans la restauration actuellement, estime Bernard Boutboul. Le secteur a démontré sa résilience face à de multiples crises, en premier lieu la pandémie, qui a entraîné des fermetures longues. Mais notre enquête met en lumière une concurrence exacerbée, et donc dangereuse pour la rentabilité. Il n'y a jamais eu autant d'acteurs dans la restauration qu'aujourd'hui, alors que les établissements deviennent simultanément de plus en plus complexes à gérer. » Un chiffre traduit à lui seul le poids de la filière en France : près de 200 000 restaurants (indépendants et appartenant à des chaînes) y sont recensés en 2024. C'est un tiers du nombre d'établissements exploités aux États-Unis, pourtant cinq fois plus peuplés ! Et où les habitants prennent un repas sur deux à l'extérieur, au lieu d'un sur sept pour les Français.

Une offre qui se diversifie

« Le marché est saturé, avertit le fondateur de Gira. Il compte trop de restaurants face à la demande, qui de surcroît fléchit. Parallèlement, les segments autres que les restaurants traditionnels se développent à un rythme accéléré : les cinémas, les boulangeries - qui drainent une clientèle toujours plus nombreuse à l'heure du déjeuner -, les stations-service, les supermarchés, tout le monde se bat pour conquérir des consommateurs plus réticents qu'avant la crise sanitaire. » Avec près de 400 000 établissements, la CAHD a encore grossi depuis 2018 (349 000).

Une croissance qui se heurte désormais à la réalité du marché, comme en témoigne un retour sur les quatre dernières années d'activité. En 2020, malgré une fermeture de douze mois au total, le chiffre d'affaires du secteur n'a diminué que de 22,6%. Puis de 14,2% en 2021 par rapport à 2019. Une résistance indéniable, due à la panoplie de stratégies mises en place face aux confinements successifs : vente à̀ emporter, click & collect, et même drive pour certains restaurateurs traditionnels, y compris dans le haut de gamme.

Etude

La reprise a été soutenue en 2022, avec une hausse des ventes de 12,6% par rapport à 2019 : « Un rattrapage de plaisir, décrypte Bernard Boutboul, avec une hausse de la dépense moyenne de 8%, non corrélée à l'inflation, qui n'a réellement démarré qu'au dernier trimestre 2022. » Mais en 2023, si le chiffre d'affaires a bien progressé d'environ 7% en un an, cette hausse découle surtout de l'inflation avec l'augmentation de la dépense moyenne, car le nombre de repas, lui, a reculé de 2%.

Chaînes et pizzerias à la peine

« Les facteurs de croissance persistent, puisque le nombre de retours à domicile à l'heure du déjeuner diminue de plus en plus, faute de temps, et que les Français savent de moins en moins cuisiner », note le patron de Gira. Mais l'inexpérience de multiples exploitants - 80% des restaurants sont pilotés par des autodidactes, selon l'étude - et l'explosion d'une concurrence multiforme expliquent la baisse du nombre de repas pris à l'extérieur. S'y ajoutent deux fractures, l'une générationnelle, entre les moins de 40 ans et les plus de 50 ans, l'autre sociale, opposant les CSP+ aux catégories moins favorisées.

« Chez les quinquagénaires et au-delà, le rapport qualité-prix est le premier critère, d'où une fréquentation accrue des boulangeries et des enseignes comme Brioche Dorée ou Paul, explique l'expert en restauration. Les moins de 40 ans, eux, privilégient la bistronomie et la "street food". » Toutes les catégories ont revu leurs budgets restaurant à la baisse, mais les plus défavorisés ont également, sans surprise, réduit leur fréquentation. Rien d'étonnant, étant donné un bond des additions de 13 à 16% depuis 2022.

Le « snacking » sort grand vainqueur, réalisant 60% du chiffre d'affaires du secteur

Du côté des gagnants et des perdants dans les différents types de restauration, l'étude Gira relève un « désamour » pour les chaînes, qui rassemblent 389 enseignes, de La Criée à McDonald's. « McDo s'en sort bien, même si la prédominance du hamburger commence à lasser le consommateur. Mais beaucoup d'autres marques souffrent », indique Bernard Boutboul, pour qui les pizzerias ont aussi atteint un niveau très élevé, avec 17 000 établissements, essentiellement gérés par des indépendants. Le « snacking » sort grand vainqueur : 60% du chiffre d'affaires global de la CAHD est réalisé dans ce secteur. « Un niveau de défaillances historique des restaurants pourrait être atteint cette année et en 2025 », redoute le consultant, pour qui de 15 à 20% du parc serait menacé. Avec des conséquences redoutables pour l'emploi : 40 000 des 200 000 établissements ont près de trois employés. Un record de faillites entraînerait jusqu'à 100 000 destructions de postes.

Marie-Pierre Gröndahl

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Commentaires 20
à écrit le 14/05/2024 à 10:46
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Pour 3400 habitants : 2 restaus 3 pizzerias 1 viet 1 sushi 1 sandwicherie .morts le dimanche !

à écrit le 12/05/2024 à 21:50
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Pas un mot sur l'hygiène dans les restos, comme s'il était normal de préparer les assiètes à mains nues. J'ai résolu le problème, je ne vais plus jamais au restaurant.

le 13/05/2024 à 7:14
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Exactement. Tout comme les restos avec des buffets a volonte où les invités vaporisent leur salive sur la nourriture pendant le chat.

à écrit le 12/05/2024 à 19:36
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J'ai mangé (pour cause de nombreux déplacements,) et souvent "bouffé "...mal, très mal dans des lieux où il devrait etre possible de se sustenter sur la base de produit frais, sains, de saison, cuisinés simplement. Il fut un temps où la carte se lim...

à écrit le 12/05/2024 à 16:18
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Mais où en est donc le fameux label "Fait-Maison" qui éviterait de qualifier "cuisiniers" de simples "réchauffeurs de plats" ? Il semble qu'il soit passé aux oubliettes..

à écrit le 12/05/2024 à 13:00
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C' est vrai que pour la malbouffe l' offre est aussi pléthorique que la prise de poids . Vive l' Italie et la Corse qui est elle sans ce chancre qu' est McDo

le 12/05/2024 à 16:26
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Il y a moins de McDo en Italie qu'en France ( à peu près 2 fois moins ) mais il y en a ... et le nombre est en constante augmentation

à écrit le 12/05/2024 à 12:59
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C' est vrai que pour la malbouffe l' offre est aussi pléthorique que la prise de poids . Vive l' Italie et la Corse qui est elle sans ce chancre qu' est McDo

à écrit le 12/05/2024 à 12:56
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S'il y a trop de restaurants, c'est peut-être parce que c'est très rentable (même si c'est du boulot) : après tout, les restaurateurs n'ont pas vraiment répercuté dans leurs prix, et vraisemblablement pas dans les salaires de leurs employés non plus,...

le 12/05/2024 à 15:40
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C'est très rentable à cause du travail au noir, d'où le lobbying des intéressés en faveur de l'ouverture à une immigration massive. Appliquer la loi à ce secteur permettrait de ne garder que les établissements réellement rentables.

le 12/05/2024 à 19:49
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@Asimon - La restauration pour être rentable il faut s'équiper...d'un ciseau, d'un ouvre-boite et d'un four multifonction (micro ondes inclus) et...c'est tout. La cuisine? Les industriels s'en chargent. Vraiment cuisiner, c'est du temps aux fournea...

à écrit le 12/05/2024 à 12:42
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Ce n'est pas la concurrence qui tue les restaurateurs. Ce sont les loyers devenus d'autant plus intenables que le télétravail à complètement désorganisé les modes de consommation

à écrit le 12/05/2024 à 10:16
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Aller au restaurant est la base de la vie des Français : c'est en tout cas comme ça qu'on a mesuré la reprise économique dans les media quand les confinements se sont arrêtés. Mais il y a un problème : c'est ruineux, les restaurants, et on ne peut ...

le 12/05/2024 à 11:18
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Il y a restau et restau : plus de la moitié des restau comme les boulangeries au passage font de la cuisine / boulangerie/ pâtisserie assemblage … que le consommateur se posent les bonnes questions: comment peut il y avoir autant de choix sur une car...

le 12/05/2024 à 13:02
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"on ne peut pas y aller souvent, en fait" ben non. Ma dernière fois c'était y a 2 ans, avant c'était y a 15 ans. C'est pas obligé d'être la base de la vie, même si on mange 2-3 fois par jour (certains prennent leur petit déjeuner au bistrot près de ...

à écrit le 12/05/2024 à 10:16
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Des établissements qui ont besoin de faire appel à l'immigration clandestine pour fonctionner ne sont de toute façon pas viables économiquement et devraient donc fermer.

à écrit le 12/05/2024 à 8:28
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UNe brasserie du centre de Paris sur un grand axe piétonnier qui ne sert plus à 13 h 30 le serveur invoquant la fin du service à 14 heure , surprenant non ?

le 12/05/2024 à 11:50
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En effet : pour garder / avoir, du personnel, après le Covid, il faut leur donner plus de repos, le travail n’etant plus le but dans leur vies. Le travail devient un moyen pour vivre.

à écrit le 12/05/2024 à 8:13
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Nos dirigeants nous prennent notre argent pour les donner à ceux qui s'évadent fiscalement, du coup on va de moins en moins au restaurant, on achète moins de bagnoles, de smartphones et-c... Principe basique des vases communicants vous êtes un journa...

à écrit le 12/05/2024 à 8:05
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Et sinon on va dire que c'est svt hors de prix pour ce que cest

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