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Si la France est le pays au monde où l'on consacre le plus de temps aux repas, soit deux heures et treize minutes chaque jour, la restauration hors domicile en bénéficie moins qu'avant la crise sanitaire. La fréquentation des divers établissements a en effet régressé en 2023 par rapport à l'année précédente. C'est l'une des révélations majeures de l'étude annuelle publiée par le cabinet spécialisé Gira sur la consommation alimentaire hors domicile (CAHD), dévoilée en exclusivité à La Tribune Dimanche par son fondateur, Bernard Boutboul.
Expert du secteur, où il a travaillé pendant une dizaine d'années à divers postes - chef de rang, livreur, manager... -, ce consultant s'intéresse depuis 1989 à tous les segments d'un secteur prolifique et multifacette. Restaurants, indépendants ou intégrés à des chaînes (McDonald's, Léon...), mais aussi établissements exploités au sein d'hôtels ou de campings, boulangeries, stations-service, distributeurs automatiques ou encore grandes et moyennes surfaces, tous sont minutieusement auscultés pour détecter les évolutions de la consommation.
« Il se passe quelque chose de très particulier dans la restauration actuellement, estime Bernard Boutboul. Le secteur a démontré sa résilience face à de multiples crises, en premier lieu la pandémie, qui a entraîné des fermetures longues. Mais notre enquête met en lumière une concurrence exacerbée, et donc dangereuse pour la rentabilité. Il n'y a jamais eu autant d'acteurs dans la restauration qu'aujourd'hui, alors que les établissements deviennent simultanément de plus en plus complexes à gérer. » Un chiffre traduit à lui seul le poids de la filière en France : près de 200 000 restaurants (indépendants et appartenant à des chaînes) y sont recensés en 2024. C'est un tiers du nombre d'établissements exploités aux États-Unis, pourtant cinq fois plus peuplés ! Et où les habitants prennent un repas sur deux à l'extérieur, au lieu d'un sur sept pour les Français.
Une offre qui se diversifie
« Le marché est saturé, avertit le fondateur de Gira. Il compte trop de restaurants face à la demande, qui de surcroît fléchit. Parallèlement, les segments autres que les restaurants traditionnels se développent à un rythme accéléré : les cinémas, les boulangeries - qui drainent une clientèle toujours plus nombreuse à l'heure du déjeuner -, les stations-service, les supermarchés, tout le monde se bat pour conquérir des consommateurs plus réticents qu'avant la crise sanitaire. » Avec près de 400 000 établissements, la CAHD a encore grossi depuis 2018 (349 000).
Une croissance qui se heurte désormais à la réalité du marché, comme en témoigne un retour sur les quatre dernières années d'activité. En 2020, malgré une fermeture de douze mois au total, le chiffre d'affaires du secteur n'a diminué que de 22,6%. Puis de 14,2% en 2021 par rapport à 2019. Une résistance indéniable, due à la panoplie de stratégies mises en place face aux confinements successifs : vente à̀ emporter, click & collect, et même drive pour certains restaurateurs traditionnels, y compris dans le haut de gamme.
La reprise a été soutenue en 2022, avec une hausse des ventes de 12,6% par rapport à 2019 : « Un rattrapage de plaisir, décrypte Bernard Boutboul, avec une hausse de la dépense moyenne de 8%, non corrélée à l'inflation, qui n'a réellement démarré qu'au dernier trimestre 2022. » Mais en 2023, si le chiffre d'affaires a bien progressé d'environ 7% en un an, cette hausse découle surtout de l'inflation avec l'augmentation de la dépense moyenne, car le nombre de repas, lui, a reculé de 2%.
Chaînes et pizzerias à la peine
« Les facteurs de croissance persistent, puisque le nombre de retours à domicile à l'heure du déjeuner diminue de plus en plus, faute de temps, et que les Français savent de moins en moins cuisiner », note le patron de Gira. Mais l'inexpérience de multiples exploitants - 80% des restaurants sont pilotés par des autodidactes, selon l'étude - et l'explosion d'une concurrence multiforme expliquent la baisse du nombre de repas pris à l'extérieur. S'y ajoutent deux fractures, l'une générationnelle, entre les moins de 40 ans et les plus de 50 ans, l'autre sociale, opposant les CSP+ aux catégories moins favorisées.
« Chez les quinquagénaires et au-delà, le rapport qualité-prix est le premier critère, d'où une fréquentation accrue des boulangeries et des enseignes comme Brioche Dorée ou Paul, explique l'expert en restauration. Les moins de 40 ans, eux, privilégient la bistronomie et la "street food". » Toutes les catégories ont revu leurs budgets restaurant à la baisse, mais les plus défavorisés ont également, sans surprise, réduit leur fréquentation. Rien d'étonnant, étant donné un bond des additions de 13 à 16% depuis 2022.
Le « snacking » sort grand vainqueur, réalisant 60% du chiffre d'affaires du secteur
Du côté des gagnants et des perdants dans les différents types de restauration, l'étude Gira relève un « désamour » pour les chaînes, qui rassemblent 389 enseignes, de La Criée à McDonald's. « McDo s'en sort bien, même si la prédominance du hamburger commence à lasser le consommateur. Mais beaucoup d'autres marques souffrent », indique Bernard Boutboul, pour qui les pizzerias ont aussi atteint un niveau très élevé, avec 17 000 établissements, essentiellement gérés par des indépendants. Le « snacking » sort grand vainqueur : 60% du chiffre d'affaires global de la CAHD est réalisé dans ce secteur. « Un niveau de défaillances historique des restaurants pourrait être atteint cette année et en 2025 », redoute le consultant, pour qui de 15 à 20% du parc serait menacé. Avec des conséquences redoutables pour l'emploi : 40 000 des 200 000 établissements ont près de trois employés. Un record de faillites entraînerait jusqu'à 100 000 destructions de postes.
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