« La SNCF n'a pas besoin d'être surprotégée » (Albert Alday, DG de Thello)

La Tribune. Plus d\'un an après l\'ouverture de la ligne-Paris-Venise, comment va la seule compagnie ferroviaire privée sur les lignes internationales du réseau français ? Albert Alday. Cette première année a été très satisfaisante. Elle nous a permis de confirmer qu\'il y avait bien une demande de trains de nuit pour la ligne Paris-Milan-Venise. Nous avons transporté en 2012 plus de 300 000 passagers sur cette axe, 20% de plus que nos prévisions initiales. Nous avons notamment observé la présence dans nos trains de clients extra-communautaires, asiatiques pour une grande partie d\'entre eux. Le chiffre d\'affaires s\'est élevé en 2012 à 30 millions d\'euros et nous avons quasiment atteint l\'équilibre économique sur cette ligne. Le résultat d\'entreprise de Thello qui sera présenté prochainement au conseil d\'administration sera néanmoins négatif, en raison des frais de lancement de la ligne Paris-Rome le 9 décembre 2012.-La satisfaction est-elle la même sur le plan de l\'exploitation ? Nous avons rencontré beaucoup d\'aléas opérationnels en raison de la gestion des infrastructures et de nombreux retards dans l\'allocation des sillons (créneaux horaires). Nous avons notamment subi des ajustements d\'horaires et des modifications d\'itinéraires qui nous ont été préjudiciables. Fin mai par exemple, nous avons appris que l\'itinéraire que nous empruntions par la Suisse serait fermé pendant trois semaines en août, pour cause de travaux sur le réseau italien. Et il a fallu attendre le 10 juillet pour pouvoir commercialiser le nouvel itinéraire via Modane soit trois semaines avant la période concernée, alors qu\'en général nous ouvrons les ventes quatre mois avant. Août a du coup été gâché et ce retard de trois mois dans les ventes nous a coûté un million d\'euros de pertes de recettes.-Comment débute l\'année 2013 avec l\'ouverture de votre deuxième ligne Paris-Rome en décembre 2012 ?2013 démarre modestement. Les taux de remplissage en décembre et janvier ont été inférieurs à nos attentes, notamment sur Rome (aux alentours de 50%), une ligne ferroviaire qui a été interrompue pendant plus d\'un an. Il y a un effet crise qui tasse les déplacements et une forte pression des compagnies aériennes à bas coûts qui ont pris le marché. Mais cela n\'explique pas tout. Nous n\'avons pu commercialiser nos trains de la nouvelle saison qu\'à la fin octobre à cause là encore de l\'attribution tardive des sillons. Ce retard a pénalisé le trafic de décembre et janvier. Aujourd\'hui, la tendance pour les prochaines semaines est encourageante. Nous comptons transporter 500 000 passagers en 2013 et réaliser près de 50 millions d\'euros de chiffre d\'affaires.-Que comptez-vous faire face à ces problèmes de sillons ? Si ça continue, nous déposerons un recours auprès de l\'ARAF (l\'autorité de régulation des activités ferroviaires) contre Réseau Ferré de France (RFF). Nous avons perdu 2 millions d\'euros à cause d\'une attribution tardive des sillons qui nous a empêchés de commercialiser correctement nos trains.-Cherchez-vous des accords de distribution avec d\'autres entreprises ferroviaires, notamment la SNCF?Nos discussions n\'ont pas toutes abouties, mais nous étudions toute possibilité de compléter notre offre en agrégeant des pré/post acheminements. Par ailleurs, nous venons de trouver un accord avec DBFrance, spécialiste des voyages ferroviaires en Europe. Les passagers pourront acquérir auprès de DBFrance des billets Thello en version papier, « ticketless », mais aussi de les combiner avec des billets d\'autres compagnies ferroviaires européennes.-Quelles sont les prochaines étapes du développement Thello?Nous travaillons pour ouvrir un nouveau type de service en 2014, toujours entre la France et l\'Italie, mais en trains Intercités de jour. Il s\'agit de la ligne Milan-Gênes-Nice avec peut être la desserte de Toulon et Marseille si cela est possible. Les trains de Trenitalia s\'arrêtent aujourd\'hui à la frontière franco-italienne, à Vintimille. C\'est un non-sens au regard du potentiel de la région PACA. Nous attendons fin février-début mars, les précisions de l\'ARAF concernant les règles de cabotage en France. L\'ARAF veut s\'assurer qu\'un tel service ne porte pas préjudice au contrat de service public qui lie la SNCF à la région pour les TER.-Que vous inspire la réforme ferroviaire en cours d\'élaboration par le gouvernement français ?Il y a un consensus. Il faut réformer. Qu\'un gestionnaire d\'infrastructures dispose de tous les leviers pour gérer ses infrastructures est une bonne chose. Après, j\'aurais évidemment préféré que ce gestionnaire d\'infrastructures unifié soit indépendant et autonome. Pour autant, les architectes de cette réforme assurent que les dispositions envisagées permettront un traitement équitable des nouveaux entrants. J\'attends de voir.-Pour permettre à la SNCF de se préparer à la concurrence, le gouvernement souhaite un cadre harmonisé entre tous les opérateurs avec un alignement sur celui de la SNCF, qui pourrait réduire l\'avantage en termes de coûts sociaux dont pourraient disposer les nouveaux entrants. Quelles sont vos marges de manœuvre ?Je suis serein. Thello applique la convention collective de la branche qui nous convient très bien. La SNCF souhaite la rejoindre et demande à ce que les organisations du travail des différents opérateurs convergent vers les siennes. Dire que les nouveaux entrants ont gagné la bataille du fret en faisant du dumping social est une parole de trop. J\'espère que nous aurons une discussion sérieuse sur ce sujet. Nous ne souhaitons pas un chamboulement du cadre social pour être alignés sur la SNCF.-Les propositions de la Commission européenne pour libéraliser enfin les marchés domestiques doivent forcément vous réjouir ? Malgré les résistances de certains pays, la Commission a sauvegardé l\'essentiel : que le transport ferroviaire puisse se repenser dans le cadre une ouverture compétitive. En revanche, je suis préoccupé par l\'annonce du gouvernement français de ne pas envisager l\'ouverture du marché intérieur français avant 2019. Ce report s\'apparente à un refus. Alors que les marchés allemand et italien sont ouverts, la SNCF va rester en monopole sur 90% de son activité voyageurs. La SNCF n\'a pas besoin d\'être surprotégée. Ne pas avoir le stimulus de la concurrence ne peut d\'ailleurs que la desservir. En outre, il y a un risque que certains marchés à l\'export se ferment au nom de la réciprocité.-Que demandez-vous ?Je souhaiterais revenir au calendrier qui était à l\'étude ces dernières années, dans lequel les parties prenantes travaillaient sur une ouverture des marchés des trains d\'équilibre du territoire (TET) en 2014 et celle des TER en 2015. Il n\'y a rien de précipité avec un tel scénario. Il reste envisageable. Je ne comprends pas ce report à 2019. Il va porter préjudice au secteur. Il faut un calendrier plus crédible que 2019.-Quelles sont les conséquences pour Thello d\'une ouverture à la concurrence du marché intérieur en 2019 ?Si nous devons attendre 2019 pour grandir, notre viabilité d\'ici là n\'est pas sécurisée. Avec un chiffre d\'affaires de 50 millions d\'euros, Thello n\'a peut-être pas la taille suffisante pour encaisser quelques coups durs. 
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