Notre futur, au miroir de la Chine et du Japon

Chine ou Japon, qui l'emportera en Asie ? Interrogation iconoclaste par les temps qui courent. Mais qui nous rappelle les dangers des approches schématiques, les pièges d'une trop courte mémoire et les incertitudes des prévisions à long terme dans un monde en pleine mutation. C'est à cette réflexion que nous convie Claude Meyer dans « Chine ou Japon, quel leader pour l'Asie ? ». À ses yeux, la fascination pour le réveil du Dragon chinois, aussi justifiée soit-elle, ne saurait occulter « la force et l'agilit頻 du sumo japonais. À ceux qui se désintéressent de l'empire du Soleil-Levant, jugé anémié et vieillissant, bref, condamné au déclin, ce spécialiste de l'Asie offre au lecteur des repères éclairants tirés d'un passé encore récent : les JO de Tokyo en 1964 et l'Exposition universelle d'Osaka, six ans plus tard, symbolisaient la renaissance de l'archipel ; tout comme les JO de Pékin en 2008 et l'Exposition universelle de Shanghai en 2010 ont consacré le retour en force de l'empire du Milieu. Le Japon a détrôné l'Allemagne comme « troisième grand » de l'économie mondiale dès 1968, ce qu'a fait la Chine quatre décennies plus tard... Une poussière d'histoire.Rappelons-nous : durant les années 1980, il n'était question que du déclin de l'Amérique et d'un Japon invincible, capable de racheter ce symbole, le Rockefeller Center. Premier créancier de la planète, Tokyo semblait appelé à devenir le maître du monde. Avant que le « casino » de la spéculation, l'envol du yen vis-à-vis du dollar et la paralysie politique imposée par la trop longue mainmise du PLD ne plongent le pays dans une léthargie déflationniste dont il sort laborieusement. Pour Claude Meyer, les parallèles entre l'essor économique chinois et japonais ne manquent pas, symbolisés par la stratégie des « quatre E » - épargne, éducation, État et entreprise  - ce qui implique un autre « E », majeur pour leurs partenaires, celui des exportations. Mais les Japonais sont entrés dans une ère postindustrielle et visent un leadership de la connaissance, alors que les Chinois, en période de rattrapage à marche forcée, se heurtent à bien des défis : la « double fracture » des inégalités sociales et des disparités régionales, la pollution, la nécessité de recentrer la croissance sur une demande intérieure passant par l'instauration d'un filet de sécurité sociale coûteux. Sans compter un vieillissement annoncé pour 2015 qui pousse les Indiens, autre étoile montante, à ironiser sur un géant qui sera vieux... avant d'être riche. Ce qu'a évité le « riche » Japon.Laissons au lecteur découvrir l'histoire mouvementée des relations sino-japonaises. Une valse en « cinq temps » qui va de la filiation religieuse et culturelle, au VIe siècle, jusqu'au traité d'amitié de 1978, en passant par l'agression japonaise de la Seconde Guerre mondiale dont la « guerre des mémoires » est encore pétrie aujourd'hui. Deux éléments majeurs ressortent de cette mise en perspective de la course au leadership régional. Les fragilités du Japon sont sans doute surévaluées : toujours premier créancier de la planète, le pays dispose d'une puissance financière plus solide que les énormes réserves libellées en dollars de la Chine ; et sa puissance technologique est incontestable... pour le moment. Quant aux handicaps de la Chine, ils ne peuvent masquer un atout majeur : un poids stratégique et nucléaire dont le Japon, de par sa constitution, est dépourvu.Pour résumer de façon abrupte un ouvrage foisonnant, l'interdépendance croissante doublée d'une profonde méfiance réciproque entre les deux pays perdurera longtemps. À ceci près : les Chinois, qui s'enivrent de leurs succès, « embrassent l'avenir », alors que les Japonais « cheminent à reculons ». Il serait faux d'en conclure que la Chine seule dominera l'Asie. Claude Meyer prévoit pour les deux prochaines décennies un leadership partagé, instable et souvent conflictuel. En attendant l'issue d'un autre duel décisif, celui de Pékin et de Washington. Duel sur lequel « Chinamérique », dernier ouvrage collectif du Cercle Turgot, offre d'intéressantes analyses. Pour Jacques Mistral, le Japon a « laissé passer sa chance de jouer les premiers rôles en Asie ». Mais pour Jean-Louis Chambon, le mélange entre deux « potions magiques », le totalitarisme politique et la liberté économique, est trop instable pour perdurer en Chine. Sans trancher sur les conséquences du jeu de « connivence et de rivalit頻 de Pékin avec l'Amérique, pour reprendre l'expression de Bernard Esambert, l'idée d'un « duopole », bref, d'un G2 dirigeant le monde, paraît exclue. Ce qui laisse place à un jeu multilatéral plus subtil dont le Japon, qui veille à son avance technologique et joue la carte de la puissance civile au service de la paix et des biens publics mondiaux, ne saurait être exclu. Sous l'oeil sourcilleux de Washington et d'une Europe encore trop fragmentée pour peser lourd. Françoise Crouïgneau « Chine ou Japon, quel leader pour l'Asie ? », par Claude Meyer. Presses de Sciences po (12 euros, 232 pages).« Chinamérique. Un couple contre-nature ? », Le Cercle Turgot. Éditions Eyrolles (17 euros, 282 pages).
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