Derrière les mots d'Herman Van Rompuy

La réaction confuse des marchés, comme les divergences d'interprétation auxquelles cette déclaration officielle a donné lieu, disent à elles seules le rapport ambigu qu'entretiennent les marchés avec le discours politique. Surtout lorsque la phrase est au futur ? « prendront » ?, qu'elle se situe dans un cadre hypothétique non défini ? « si nécessaire » ?, et qu'elle reste éminemment vague, en promettant « des mesures déterminées et coordonnées », sans plus guère de précisions. Et lorsqu'elle vise un objet beaucoup plus large que la racine grecque de la crise, à savoir « la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble ». Pour résumer, voilà un message qui, à première vue, est extrêmement ambitieux mais qui ne dit pas grand-chose. D'autant qu'en évoquant seulement « les États membres de la zone euro », elle masque la puissante machinerie qui s'apprête à intervenir pour sauver la Grèce et l'euro, à savoir la BCE et le FMI. Pourtant, le fait même que cette déclaration de la bouche du président de l'Europe ait eu lieu est en soi un événement : elle fait une entorse au principe de « no bail-out » prévu à l'article 125 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Et elle affiche une certaine fermeté, répondant au moins en partie à l'attente des marchés. Si chaque mot, objet d'un marchandage serré, reste aussi imprécis, c'est que cette déclaration s'adresse à trois publics différents, aux intérêts contradictoires. D'un côté, les marchés, auxquels les grandes puissances membres de l'euro affirment qu'elles ne laisseront pas les plus petits faire défaut. Quoi qu'il arrive, la solidarité prévaudra. De l'autre, l'État grec, sur lequel les pays membres de l'Union veulent maintenir la pression, pour qu'il accentue ses efforts avant ses échéances de refinancement de sa dette. Mais aussi les opinions publiques nationales, en particulier les Allemands, à qui Herman Van Rompuy dit, à travers le « si nécessaire », que la solidarité ne jouera pas automatiquement. Pourtant, si le dilemme est clair, il en ressort comme tranché dans la déclaration du président du Conseil, et ce en faveur du principe de solidarité et d'intervention. Et il semble apporter sa bénédiction aux passagers clandestins, qui feront le choix de vivre au crochet des pays les plus vertueux. La seule manière d'éviter cette dangereuse dérive est de reconnaître l'abandon de la souveraineté budgétaire des États membres de la monnaie unique. Ainsi, cette phrase, pour incomplète qu'elle soit, appelle une suite : celle de créer, tôt ou tard, un véritable gouvernement économique de la zone euro. En clair, l'achèvement de la zone monétaire. Si Herman Van Rompuy pensait calmer les marchés par un message politique fort, sa déclaration dit aussi que ce sont les marchés eux-mêmes qui forceront l'Europe à aller vers davantage d'intégration politique. Véronique Riches-Flores, chef économiste à la Société Généralecute; Générale CIB. Cette déclaration d'Herman Van Rompuy dit qu'il existe une détermination commune des pays de l'Union à faire ce qu'il faut, en temps voulu, et si cela s'avérait nécessaire, pour prévenir le risque défaut de la Grèce. C'est précisément ce qu'attendaient les marchés : il fallait le dire, ils l'ont dit. Le fait même de l'avoir dit de façon officielle, et d'avoir affiché une cohésion au-delà des interrogations et des inquiétudes nationales, me paraît très important. Même si le détail des mesures n'est pas donné, car celles-ci sont en cours d'élaboration, la prise de conscience d'une nécessaire cohésion dans l'action et la communication est essentielle. Les marchés ne pouvaient pas en attendre beaucoup plus à ce stade. À l'évidence, les réponses seront complexes à élaborer, car elles devront porter sur le fonctionnement du système lui-même et non sur la seule intervention d'un pays pour aider la Grèce. Cette déclaration est finalement inédite, parce qu'elle laisse entrevoir pour la première fois le début d'un processus de construction d'instruments d'intervention commun qui pourraient être les prémices d'une politique économique et budgétaire davantage coordonnée au sein de la zone euro. Ce n'est pas encore le fédéralisme mais ça commence, enfin, à en prendre le chemin, même si à l'évidence le mouvement sera long à mûrir. L'union monétaire finira peut-être par sortir renforcée par cette crise... qui sait ? Natacha Valla, économiste chez Goldman SachsDans cette rhétorique souple, il y a trois mots importants : les mesures « coordonnées », la « stabilité financière » et « l'ensemble de la zone ». Cela signifie que la réponse des États membres vise bien davantage l'ensemble de la zone euro que la seule situation grecque. Et bien davantage aussi la situation économique et budgétaire que la seule situation monétaire. Il faut comprendre cette phrase de façon holistique, en liant la finance, la politique budgétaire et l'économie. Ce qui devrait naturellement conduire à la création d'institutions politiques de coordination de l'ensemble des politiques publiques des États membres. C'est cela le véritable enjeu de ce plan d'aide, même s'il ne doit pas déboucher dans un avenir immédiat. L'affichage de la solidarité européenne vis-à-vis des pays en difficulté, et les preuves de la bonne volonté de la Grèce, ont été reçus par les marchés, comme le montre la détente des « spreads » de taux sur la dette souveraine grecque. L'incendie a donc été éteint, mais tout n'a pas été résolu, loin s'en faut. Au moment où la Grèce viendra refinancer sa dette sur les marchés, il est clair que les marchés regarderont de très près si elle respecte ses engagements. Leur vigilance reste intacte. René Defossez, stratégiste sur les marchés de taux chez NatixisCette phrase dit que les États membres de la zone euro cherchent véritablement la solution pour décourager la spéculation contre les carences des mécanismes de la monnaie unique, à commencer par la divergence des performances budgétaires et les hétérogénéités, au niveau salarial notamment, entre les États membres. En insistant sur le « si nécessaire », ils affirment qu'ils n'interviendront que dans le cas concret où l'un des États connaîtrait un stress majeur pour refinancer sa dette. Seulement, cette déclaration recèle une ambiguïté fondamentale : est-ce que leur intervention n'est qu'occasionnelle, destinée à répondre à un choc local et provisoire ? Ou sera-t-elle en vérité définitive, offrant une garantie implicite à tout contrevenant aux règles de l'union monétaire ? Dans ce cas, les pays de la zone valideraient implicitement l'indiscipline des passagers clandestins. Mais si cette phrase demeure imprécise, c'est parce qu'elle s'adresse à des publics distincts aux intérêts divergents. D'un côté, en affirmant leur soutien à la Grèce si nécessaire, elle dit aux spéculateurs : si vous attaquez la Grèce vous êtes certains de nous trouver contre vous, et vous perdrez de l'argent. De l'autre, elle dit à la Grèce : on t'aidera si tu fais des efforts et si tu nous laisses le droit de contrôler tes finances publiques. Implicitement, cette phrase traduit la perte de souveraineté budgétaire des États. Ce n'est pas encore l'Union économique et fiscale, mais c'est une reconnaissance implicite qu'elle seule réglerait définitivement les dysfonctionnements de la zone euro. Antoine Flamarion, fondateur de Tikehau Capital et président du conseil de surveillance de Tikehau Investment Management.Alors que les marchés attendent une réponse politique claire à la crise des dettes publiques de la Grèce, les États membres ont simplement signifié par cette phrase que, si cela s'avérait nécessaire, ils agiraient. Ils se situent donc encore dans l'ordre de la sémantique plus que dans l'action. La raison en est simple. Ils ne savent pas encore quelle est la meilleure façon d'aider la Grèce : ainsi, la notion de « mesures déterminées » paraît-elle encore très floue. Faut-il prêter de l'argent à la Grèce quand elle procédera à des adjudications  ? Mais alors que se passera-t-il quand ce sera au tour de l'Espagne de se refinancer ? Ou faut-il garantir le remboursement de ses nouvelles dettes quand elle se refinancera sur les marchés ? Mais ce n'est pas tout. Le deuxième élément important à relever dans cette déclaration, c'est qu'elle précise que les États membres souhaitent « préserver la stabilité de la zone euro dans son ensemble ». C'est évidemment positif, tout comme le fait qu'elle précise qu'ils agiront aussi de manière coordonnée. En clair, il n'est plus question que chacun tire dans son coin. Pour résumer, si c'est un message d'unité qui a été donné, il manque pour calmer véritablement les marchés le modus operandi de cette solidarité affichée. En d'autres termes, rien n'est vraiment réglé. Dominique Chesneau, président de la société de conseil en gestion des risques financiers Tresorisk Conseil. Par cette déclaration du président de l'Union européenne, les pays membres posent le principe de solidarité avec l'un des pays de la zone euro en difficulté, principe qui n'était lui-même pas évident en vertu des articles ambigus 122 et 125 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui interdit expressément, sauf conditions exceptionnelles, aux États membres de prendre à leur charge les engagements financiers d'un gouvernement national. Seulement, la déclaration de Herman Van Rompuy reste très floue sur la manière de procéder. Une imprécision qui ne fait que refléter l'absence d'accords entre chefs d'État sur la manière de mettre, à court terme, un coup d'arrêt à la spéculation, expliquant que les fonds aient repris de plus belle leur spéculation contre la Grèce. Et, à moyen terme, sur la manière d'éviter que cette situation se reproduise sur d'autres États, et par effet de contagion sur l'ensemble de la zone euro. On comprend entre les lignes, et grâce au communiqué du Conseil des ministres qui a suivi la déclaration de Van Rompuy, que l'Union monétaire ne pourra sortir de cette crise sans se faire aider, au moins techniquement, du FMI.
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