Remettre de l'ordre dans la taxation des entreprises multinationales

En 2009, les chefs d’État et de gouvernements du G20, en s’appuyant sur l’action de l’OCDE, faisait de la lutte contre le secret bancaire à des fins fiscales un des points culminants de leur sommet. Trois ans plus tard, le secret bancaire n’est plus qu’un reliquat du passé en voie de disparition, de nombreuses juridictions, autrefois secrètes, passant même à l’échange automatique de renseignements. Mais la lutte pour plus de transparence est passée au second plan et les États du G20 se focalisent déjà sur un nouveau chantier : la taxation des entreprises multinationales. 2012 pourrait faire écho à 2009, avec une pression politique forte combinée à une action de l’OCDE pour remettre un peu d’ordre dans la fiscalité internationale. Dès samedi, l’OCDE présentera aux ministres des finances du G20 un rapport sur la façon de traiter l’érosion des bases fiscales et le déplacement des profits dans les juridictions à faible fiscalité (projet plus connu sous l’acronyme anglais de « BEPS » - Base Erosion and Profit Shifting).A l’heure où les impôts sur les personnes physiques mais aussi les petites et moyennes entreprises ont été fortement relevés (la TVA a augmenté dans 25 des 33 États membres de l’OCDE ayant une TVA), des campagnes de presse dénoncent la sous imposition des entreprises multinationales. Fantasme typiquement français ? Pas vraiment, si l’on écoute les propos virulents du Premier ministre britannique David Cameron appelant les sociétés multinationales à « sentir l’odeur du café » pour se réveiller… Du Japon aux États-Unis, en passant par l’Europe et les pays émergents, on assiste à la même prise de conscience politique : non seulement les États, en situation budgétaire critique, doivent collecter plus d’impôt, mais ils ne peuvent accepter les distorsions de concurrence résultant de ce que les entreprises « exposées » à l’international ont un taux effectif d’imposition nettement plus faible que les autres entreprises. Tel est en tout cas le constat qui fait aujourd’hui consensus.Planifications fiscales agressivesS’il est difficile de mesurer l’ampleur du phénomène et son impact sur les recettes fiscales, force est de reconnaître que la fiscalité internationale offre aujourd’hui un cadre qui n’a sans doute pas évolué au rythme des affaires, offrant des opportunités de double non imposition. Par le jeu, d’ailleurs pas si subtil, des prix de transfert, des produits et entités « hybrides » (une société résidente de deux États en même temps de manière à n’être taxée dans aucun !), de la définition un peu surannée de l’établissement stable, qui n’intègre pas les spécificités de l’économie numérique, et d’autres éléments de la fiscalité internationale, les sociétés peuvent développer, en toute légalité, une planification fiscale agressive. Il en résulte un divorce croissant entre la localisation des activités et celle des profits, qui aboutissent dans des juridictions à très faible fiscalité. C’est ce divorce qui aujourd’hui soulève une incompréhension croissante de la part des gouvernements mais aussi du grand public !Comment en est-on arrivé là ? Bien sûr, les évolutions sont lentes et le glissement s’est opéré progressivement. Pendant longtemps, le développement des règles de fiscalité internationale s’est focalisé sur l’élimination de la double imposition. En effet, pour favoriser la croissance, l’investissement et donc l’emploi, il est essentiel que les entreprises faisant des affaires dans plus d’un État ne soient pas exposées à payer des impôts sur le même revenu plus d’une fois. Pour limiter l’impact négatif de l’existence de leur souveraineté fiscale, les États ont accepté de négocier des Conventions fiscales et de fixer quelques règles visant à se partager les droits d’imposer. En développant un modèle de Convention et des règles d’interprétation commune, notamment en matière de prix de transfert, l’OCDE s’est portée garante, depuis des décennies, de ce système.Mettre fin aux doubles non impositionsProgressivement néanmoins, l’optimisation fiscale s’est banalisée, de concert avec le recul du poids et du rôle des États. Surtout, la globalisation a rendu plus facile l’utilisation de places off shore et des approches beaucoup plus intégrées de la part des multinationales. Tant et si bien que les règles visant à partager l’imposition entre États ont été utilisées pour localiser le profit dans des États tiers n’exerçant pas leur droit d’imposer. On est ainsi passé de l’élimination de la double imposition à la double non imposition.Mettre fin aux doubles non impositions est aujourd’hui un objectif commun des États membres de l’OCDE et au-delà, des membres du G20. La Commission européenne, a elle-même publié en décembre une recommandation visant à lutter contre ce phénomène.Pourtant, contrairement à ce qui s’était produit à la fin des années 1990, il ne s’agit pas de dénoncer les faibles niveaux d’imposition offerts par certains Etats. Etre compétitif est plutôt de bon aloi, dès lors qu’il ne s’agit pas de régimes cantonnés visant seulement à attirer des capitaux mobiles, sans réelle substance et sans ouvrir ces régimes aux entreprises nationales. Il ne s’agit pas non plus de dénoncer les entreprises comme fautives, exercice trop facile qui ne rendrait pas justice au fait que la plupart des schémas, aussi agressifs soient-ils, sont légaux. Bien au contraire, il s’agit de modifier les leviers de la fiscalité internationale pour rendre les schémas fiscaux agressifs inopérants et impossible la dissociation artificielle entre la création de richesses et la localisation des profits. En d’autres mots, il s’agit de redéfinir un cadre plus adapté à l’économie actuelle où l’élimination des doubles impositions sera maintenue mais où les doubles non impositions devraient devenir impossibles.La structure même de la fiscalité internationale remonte aux années 1920 où elle fut élaborée par la Société des Nations. Près d’un siècle plus tard, il est plus que temps de revisiter ces règles en profondeur et de les actualiser pour garantir plus d’équité entre contribuables, qui exige que chacun paye sa juste part tout en facilitant les investissements internationaux nécessaires à un retour vers plus de croissance. La volonté politique des États, si attachés à leur souveraineté fiscale, décidera des chances de succès du plan que l’OCDE leur présentera en juin, sur la base du diagnostic publié ce jour.En savoir plus :Stop à l\'évasion fiscale. Notre événement dans La Tribune Hebbdomadaire du 11 janvier 2013.Rapport OCDE/février 2013 : Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.(*) Pascal Saint-Amans est Directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE et William Morris, Président du Comité fiscal du Comité consultatif économique et industriel auprès de l’OCDE.
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