Sainte-maure de Touraine, une affaire de femmes

Ne pas confondre sainte-maure et sainte-maure de Touraine. Le premier n'est qu'une bûche générique de fromage de chèvre. Le second a une forme tronconique, celle du moule légèrement évasé par lequel s'égoutte le lait caillé, ? enterre à l'origine, en fer plus tard, en plastique aujourd'hui ? et il est traversé d'une paille de seigle pyrogravée qui l'authentifie avec le numéro de la fromagerie et en assure la traçabilité. Car un sainte-maure de Touraine est produit avec plus de 2 litres de lait cru et entier de chèvre provenant exclusivement d'une zone bien définie?: l'ancienne province de Touraine, qui couvre le département d'Indre-et-Loire et quelques communes limitrophes de la Vienne, au sud, et du Loir-et-Cher, au nord. Pour le déguster, il faut l'entamer par la plus grande section. Car la plus petite, celle qui était au bas du moule, garde de petites pointes, traces de l'égouttage. Les grands-mères y voyaient les tétines des chèvres. Les couper... c'était risquer de tarir leur lait. Des secrets du sainte-maure qui se transmettaient de grand-mère à petite fille, quand les parents étaient aux champs. On dit que ce sont les femmes des Sarrazins, arrêtés à Poitiers en 732, qui ont apporté la recette dans la région. La tradition s'est perpétuée?: toutes les fermes avaient quelques chèvres?; les femmes fabriquaient des fromages pour la consommation familiale et vendaient le surplus au voisinage puis, au début du XXe siècle, au grand marché de Sainte-Maure. Une affaire de femmes, donc, un peu comme la cuisine. « Mon père ne serait jamais entré dans la fromagerie », se souvient Annie Lurton, productrice. En 1990, la filière locale fait reconnaître l'AOC, puis l'AOP (en 1996). Le cahier des charges est strict?: des chèvres nourries exclusivement de fourrages et céréales produites dans la zone?; une fabrication strictement contrôlée. Comme un boulanger, on surveille « sa pâte », on la moule à la cuillère, la démoule délicatement, la roule dans un mélange de sel et de poudre de charbon de bois de hêtre, qui donnera la croûte gris cendré, avant de l'affiner dans un hâloir. Au moins 10 jours pour obtenir un fromage moelleux, davantage pour un sec, à la pâte très blanche, au goût doux, subtil, à peine acide, jamais amer. Aujourd'hui, la filière produit 1.325 tonnes de lait équivalant à 4?millions de fromages. Quelque 40 producteurs fermiers nourrissent leurs chèvres avec le produit de leur exploitation, transforment le lait en fromage et l'affinent eux-mêmes. Plus de 150 autres livrent leur lait aux quelques laiteries ou coopératives industrielles. Ce produit haut de gamme, vendu moins de 4 euros sur place, près de 7 à Paris, est resté longtemps à l'abri des crises. Mais les ventes ont ralenti en 2009 et la baisse du prix du lait de chèvre fragilise la filière. L'appellation songe à restreindre un peu la zone de son label. Isabelle Repito
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.