CMA CGM écrit une nouvelle page de son histoire

CMA CGM tourne une page clé de son histoire, même si beaucoup de choses restent à écrire. Lundi se tiendra en effet le premier conseil d'administration du numéro trois mondial du transport maritime de conteneurs. Une nouvelle gouvernance a été décidée, après que le géant français a frôlé le naufrage financier fin 2009. Endetté à hauteur de 5,6 milliards de dollars (la monnaie de référence du secteur) pour un chiffre d'affaires de 15,1 milliards en 2008, et en perte de 500 millions de dollars au premier semestre 2009, CMA CGM ne pouvait plus honorer ses engagements. Sous la houlette de Bercy, le pool bancaire du groupe ? environ 60 établissements ? a donc accepté de lui accorder le 18 décembre une ligne de crédit de 500 millions de dollars, qui devait être débloquée mi-janvier, exigeant en échange que Jacques Saadé prenne du recul dans la gestion de ses affaires.À 72 ans, le fondateur emblématique et tout-puissant patron de CMA CGM devient ainsi président du conseil d'administration. Un directeur général sera adoubé lundi : Philippe Soulié, que peu de gens connaissent, recruté via un cabinet de chasse mandaté par la famille Saadé. Poly­technicien, il est passé chez Usinor, Alstom et fut dernièrement président du directoire du groupe Cnim, basé à Marseille ? comme CMA CGM? et spécialiste des solutions industrielles pour la défense, les transports, l'énergie, etc. Un temps pressenti pour prendre le poste de Philippe Soulié, Denis Ranque, ex-patron de Thales, aurait en fait été poussé par le cabinet de la ministre de l'Économie Christine Lagarde. Mais Jacques Saadé, qui a fait bâtir à Marseille un nouveau siège somptueux dans lequel le déménagement est prévu prochainement, n'aurait pas apprécié cette pression. Denis Ranque entre néanmoins au conseil d'administration de CMA CGM, de même que Christian Garin, président d'Armateurs de France. Au total, douze membres composent ce conseil ? quatre pour le cercle familial de Jacques Saadé. Trois places sont pour le moment laissées vacantes, en attendant l'augmentation de capital prévue pour le deuxième trimestre 2010 et l'arrivée de nouveaux actionnaires. Le Franco-Libanais Jacques Saadé, qui détient aujourd'hui la totalité de son empire, parlait récemment d'une augmentation de capital de quelque 400 millions d'euros, mais rien n'est fixé.« Aucune décision stratégique ne sera prise lundi. Nous entrons dans une période de flottement, en attendant l'augmentation de capital et l'arrivée des nouveaux investisseurs », explique un membre du conseil d'administration. Parmi les actionnaires potentiels, figurent Louis Dreyfus Armateurs, qui dit ne pas pouvoir se désintéresser du dossier, le Fonds stratégique d'investissement (FSI), tout comme des industriels étrangers et des fonds. Le problème de la restructuration de la dette demeure aussi. Difficile de savoir si le choix portera sur un effacement pur et simple de cette dernière, sur l'utilisation d'autres outils, sur la transformation en capital d'une partie de la dette (cette solution ne paraît pas être privilégiée), etc. « Si le dossier traîne, c'est que tout le monde veut poser ses conditions », souligne un observateur.Passée cette grosse période de turbulences, CMA CGM, avec ses 17.000 employés et ses 365 navires (dont une petite centaine en propriété), sera-t-il ensuite remis à flot ? L'arrivée d'un seul nouveau nom à la direction générale suffira-t-elle à changer le mode de fonctionnement ? Beaucoup de cadres ont fait un passage éclair dans ce groupe aux méthodes de management orientales assez rudes. « Soit vous faites partie du cercle familial, soit du cercle libanais, ou alors vous êtes un vieux briscard, résume un bon connaisseur. Cette entreprise était tenue de manière exclusive par Jacques Saadé, avec la certitude que le modèle ne pouvait pas être remis en cause », poursuit-il.Il y a deux ans, alors que tout allait encore pour le mieux pour ce géant des mers à la croissance impressionnante, certains avaient commencé à s'inquiéter de la spirale de l'endettement. Sur un marché extrêmement porteur, le groupe s'était de fait constitué à coups d'acquisition (CGM, Delmas?) et de diversification dans le multimodal, les concessions portuaires ou les croisières de luxe. « La somme de toute cette expansion avait propulsé CMA CGM à la troisième place mondiale, mais avait aussi propulsé l'endettement à des niveaux très élevés », note-t-on. Ces inquiétudes avaient été balayées d'un revers de main par Jacques Saadé. En 2008, lorsque les meilleurs experts tablaient sur un emballement du prix de l'or noir, CMA CGM avait aussi pris des positions pour se couvrir à la hausse. Sous l'impulsion du patriarche, le groupe s'était d'ailleurs positionné sur les marchés risqués des produits dérivés. Mauvais calcul, le prix du baril s'étant en fait effondré. Une histoire qui aura coûté plusieurs centaines de millions de dollars à CMA CGM. En avril 2009, alors que les taux de fret avaient déjà dévissé, Jacques Saadé pensait encore que son groupe pourrait avoir une croissance positive sur l'ensemble de l'année.Si la crise n'était pas passée par là, CMA CGM aurait sans doute continué sur sa lancée, comme il l'a fait depuis sa création en 1978, avec à sa tête un vrai visionnaire, qui, avant tout le monde, avait compris que la Chine offrait un potentiel de développement extraordinaire. « Il y a deux ans, je me disais que CMA CGM pouvait soit devenir la première société mondiale, si le marché était bon, soit mourir », se souvient un professionnel du secteur. CMA CGM s'était d'ailleurs donné les moyens de supporter sa croissance, en commandant, au plus fort de la hausse des échanges mondiaux, une cinquantaine de nouveaux navires, livrables entre 2009 et 2012-2013. Le « Christophe Colomb », son plus gros porte-conteneurs, capable de transporter 13.300 « boîtes », a été livré en novembre dernier. Les temps ne sont plus aujourd'hui aux dépenses somptuaires, et le groupe s'est fendu de plusieurs voyages en Asie pour négocier avec les chantiers navals l'annulation d'une quinzaine de commandes et le report de nombreuses livraisons.CMA CGM n'est pas mort. Mais il a frôlé de près la catastrophe. « Les banques ont apporté des fonds pour permettre à Jacques Saadé d'avoir le temps de négocier dans les meilleures conditions l'entrée de nouveaux actionnaires. C'est un vrai signe de confiance », conclut Christian Garin, alors que l'activité repart à la hausse.Ingrid SeithumerLe numéro trois mondial du transport maritime de conteneurs a frôlé le naufrage. Pour sortir des eaux troubles, il doit accepter une nouvelle gouvernance et va ouvrir son capital. Son premier conseil d'administration se tient lundi.Philippe Soulié, que peu de gens connaissent, sera adoubé directeur général lundi.Chiffre d'affaires 2008 : 15,1 milliards de dollarsFlotte : 365 naviresCapacité de la flotte * : 1,7 million EVP ** Nombre de conteneurs transportés : 8,9 millions EVP ** * Novembre 2009 ** EVP : équivalent vingt pieds
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