La chronique de Stéphane Soumier

Quoi de plus efficace que l'humour à froid ? Vous savez, cette phrase discrète mais cinglante, affûtée au point que vous vous demandez, une seconde, si votre interlocuteur est sérieux, ou pas. Et pendant une seconde je me suis demandé si Michel Pébereau faisait de l'humour en souhaitant que « les actionnaires de Goldman Sachs relisent Karl Marx ! Parce que cette histoire de bonus, ça n'est qu'une affaire de répartition capital-travail »... Je vous rassure, il a vu mon trouble, il m'a gratifié d'un grand sourire, qui signifiait qu'il avait lui aussi le droit de manier la provocation, avant d'argumenter sur le fond : « Pour comprendre ce qui se passe aux États-Unis, il faut admettre que ni le pouvoir politique, ni la société civile ne pourront influencer le comportement d'une entreprise privée là-bas, il ne sont pas considérés comme légitimes pour le faire. La question des bonus est entre les mains des actionnaires, eux seuls peuvent changer le rapport de force, s'ils se mettent à considérer qu'ils risquent d'être les dindons de cette farce. » Savoir si cela peut évoluer dans les mois qui viennent est une autre affaire, « mais on est effectivement », continue Michel Pébereau, « dans le risque d'un déséquilibre entre ce que l'on accorde aux traders, et ce qui devrait logiquement revenir aux actionnaires, puisque ce sont eux qui prennent les risques réels ». Karl Marx dénonçait l'injustice de la répartition de la valeur créée, au profit du capital. Se dire que les choses se sont inversées, même pour les seuls seigneurs des marchés, pourrait donner un peu d'espoir aux salariés du monde. Penser que Goldman Sachs est le dernier bastion du marxisme arracherait un sourire aux plus désabusés. « On va peut-être arrêter de se flageller, vous ne pensez pas ? » Anne Lauvergeon ne le dit pas comme ça, mais c'était le message délivré mercredi dernier devant quelques journalistes. Il intervenait dans une ambiance étrange. En gros, l'industrie française serait en train de se faire doubler sur ses points les plus forts. Les Coréens qui construiront les réacteurs nucléaires d'Abu Dhabi, une PME allemande qui rafle les satellites du système d'observation Galileo, les Chinois qui font rouler un TGV à plus de 390 km/h en exploitation (c'est Édouard Carmignac qui s'en inquiète, vendredi, dans la page de pub qu'il se paye régulièrement pour commenter l'actualité). Si ce n'est qu'Areva, par exemple, laisse discrètement filtrer quelques-uns des éléments du contrat soi-disant perdu : « Franchement, je ne sais pas si l'obtenir aux conditions acceptées par les Coréens aurait été considéré comme une victoire », me dit une source proche du dossier, « je ne peux vous donner qu'un élément : ils ont accepté une franchise de 6 milliards de dollars. C'est invraisemblable. Ça veut dire qu'en cas de réel problème, ils acceptent de prendre à leur charge la construction d'un réacteur entier. Je veux bien penser que c'est le prix à payer pour gagner un premier marché à l'export. C'est le cas des Coréens. Mais admettez qu'Areva n'a pas besoin de ça. » J'admets. Ce qui n'enlève rien au reste de la réflexion : « La force de traction de ces pays est aujourd'hui telle que le marché boursier directeur n'est plus Wall Street, mais Shanghai », écrit Édouard Carmignac. Claude Garnier, le patron d'Aforge Finance, me dit, lui aussi, de regarder les courbes sur deux ans : « Shanghai a craqué avant nous, puis est remontée avant nous. Maintenant elle stagne? avant nous ? Il serait temps d'en tirer les conclusions qui s'imposent. »
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