Au-delà des ténèbres du fleuve Congo

Un ensemble de masque. L'image est forte. Car l'abstraction évoquée par leurs formes nous renvoie à cet art moderne né au début du XXe siècle à travers les oeuvres de Matisse, de Picasso ou de Derain. C'est l'émotion la plus intense provoquée par l'exposition du musée du quai Branly consacrée au fleuve Congo et qui donne à voir outre ces masques, des statues et des reliquaires jalonnant l'histoire de l'Afrique centrale. Cet art est multiple, simplement relié par une langue commune, le bantou. Au-delà, chaque ethnie, chaque tribu explore ses propres domaines artistiques à travers symboles et signes. Objets rituels, attributs de cérémonies font dialoguer les vivants et les morts, le réel et les ténèbres. Qu'ils soient d'origine Kwele, Fang, Kota ou Kongo, ils sont la représentation de l'homme lorsqu'il est porté par l'âme des morts. Pour les masques, l'ovale du visage est poussé dans ses extrêmes, le regard comme absent, mystérieux, déjà dans l'au-delà. Le trouble vient de la manière dont il dépasse la simple représentation pour trouver une forme immuable, qu'un Matisse va développer toute sa vie à travers les visages de femmes. Douceur du trait, tendresse des tons, volubilité des accessoires lorsqu'ils existent. Une esthétique qui illumine l'art Kwele. Parfois l'audace renvoie à une pure abstraction avec ce masque de danseur Kidumu composé uniquement de formes géométriques assemblées entre elles. Un jeu qui laisse deviner, lorsqu'on l'observe, une bouche et des yeux. Autre étonnement ce masque à six yeux ayant appartenu au peintre Lapicque, qui au-delà de sa pure représentation abstraite laisse entrevoir comme un lamento. On comprend l'influence de l'art africain sur les Occidentaux. Man Ray dans ses photographies de mode pour Harper's Bazaar en apporte la preuve. Comme le feront également Derain, Vlaminck ou Braque.Lorsqu'on approche les figures de reliquaires, on est attiré par cette sorte d'effroi qui se dégage des regards, comme si ces gardiens des ténèbres étaient eux-mêmes horrifiés par leurs secrets. Tout autre est la statuaire féminine. Ce n'est pas simplement la mère qui est représentée, mais aussi la « veilleuse d'âmes ». C'est elle le lien entre les hommes et les dieux, parée de vertus divinatoires. Prêtresse ou reine.
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