Japon qui rit, Europe qui pleure

L’écart est frappant. Alors que la zone euro a vécu un cinquième trimestre consécutif de récession, l’économie du Japon a fortement rebondi au cours des trois premiers mois de l’année. - 0,2 % d’un côté, + 0,9 % de l’autre… A l’ouest du continent eurasien, des moteurs de croissance pratiquement tous éteints, à l’est l’ensemble des composantes de la demande qui s’envolent. Cette divergence n’est pas le fruit du hasard. Elle est le résultat de choix politiques à l’opposé l’un de l’autre.L’Europe engluée dans la théorieDans la zone euro, la politique choisie continue de faire confiance aveuglément ou presque à la théorie : par la réduction des déficits, on rétablira la confiance des agents économiques et l’on fera repartir la croissance. Toute mesure monétaire, toute mesure de relance est jugée perturbatrice de cette évolution et l’on ne s’y soumet qu’à regret et sous la pression. Que l’on songe à l’attitude de la BCE, qui a baissé de 25 points de base, devant le désastre de la croissance, son taux en refusant toute politique de soutien aux PME. Que l’on songe à l’attitude de la Commission européenne qui accepte un délai pour la consolidation budgétaire en France et en Espagne, tout en maintenant le « cap » et en exigeant des « réformes structurelles. » Cinq trimestres de récession ne suffisent pas à convaincre de l’échec de cette théorie. Sous la pression, notamment, de l’Allemagne, le pragmatisme européen est minimal.Le pragmatisme japonaisAu Japon, le « conservateur » Shinzo Abe a laissé tout apriori théorique. Il a décidé de sortir l’Archipel de quinze ans de dépression et de déflation. Il a compris que la réduction de la dette publique ne pouvait être la priorité dans un tel contexte, sauf à prendre le risque de prolonger le marasme encore vingt ans et à voir, en conséquence, la dette encore croître. Il s’en est donné les moyens. Pour cela, il a dérogé à tous les principes de l’orthodoxie classique : il a bousculé la banque centrale et réduit son indépendance, il affirmé une politique de change ambitieuse, il a décidé de relancer la dépense publique, au moins temporairement et malgré l’endettement immense du Japon. Tous les économistes ont poussé des hauts cris, la Bundesbank s’est émue, les observateurs européens ont souvent ricané. Mais ce volontarisme nippon montre aujourd’hui que la crise n’est pas cette fatalité que les politiques européens prétendent.Le pari de Shinzo AbeCertes, les risques d’une telle politique, baptisée « Abenomics » par les marchés, sont réels : inflation, notamment des matières premières, endettement de l’Etat insoutenable à terme, déficit courant considérable et guerre des monnaies qui affaiblirait l’ensemble de la croissance mondiale. Néanmoins, le Japon va disposer d’un atout pour faire face à ces défis : la croissance. Selon les économistes HSBC, il faut en effet compter avec une accélération de la croissance dans les prochains trimestres dans l’archipel. Le pari de Shinzo Abe est que, une fois les moteurs de la croissance rallumés, l’économie n’aura plus besoin du soutien de la banque centrale et du gouvernement. On pourra alors resserrer les conditions monétaires et réduire les dépenses publiques.La confiance rétablieCertes, on ne peut exclure un scénario « noir » où le Japon serait frappé par l’hyperinflation, mais ce pari n’est pas plus absurde que celui qui fait de l’austérité le gage de la confiance et de la « croissance future. » Du reste, Shinzo Abe vient de prouver qu’une politique de relance permet de restaurer la confiance aux agents économiques, autrement dit ce qui manque absolument à l’Europe. Car, contrairement à ce que l’on entend souvent, la confiance manque cruellement en Europe. Le redressement du marché des dettes souveraines, le passage du 10 ans grec sous les 8 % est tout aussi artificielle que la croissance « auf Pump » (à la pompe) comme le disent les Allemands, de Shinzo Abe. Ceci est lié à la fois au dispositif OMT de la BCE et à l’afflux de liquidité sur les marchés. La confiance dans l’économie européenne ne joue guère de rôle. A l’inverse, les indices européens de confiance des entrepreneurs et des consommateurs restent au plus bas et c’est ce qui bloque aujourd’hui toute possibilité de reprise. Tant que le discours de consolidation demeurera dominant, la confiance ne reviendra pas, parce que les anticipations des agents économiques demeureront pessimistes.La compétitivité par le yen faibleTokyo a infligé une seconde défaite morale aux Européens en montrant que l’audace de la politique monétaire japonaise a payé directement en termes de compétitivité de ses produits. Certes, Tokyo doit prendre garde à ne pas aller trop loin pour éviter les représailles et la course aux dévaluations, mais cette bouffée d’air pour les exportateurs, refusée par une BCE soucieuse de ne pas s’aliéner les Allemands, a permis de relancer la machine industrielle nipponne. Les exportations japonaises ont progressé de 3,8 % au premier trimestre, contre 0,6 % en zone euro. Il faudra à présent que ceci se transmette à l’investissement encore en baisse. Si cela est le cas, le pari de Shinzo Abe sera en partie gagné. Il sera alors possible de stabiliser le yen à ce niveau favorable à la compétitivité du pays.Le Japon prouve que des alternatives existentLe Japon n’est pas l’Europe. La comparaison n’est sans doute pas opérante, compte tenu des divergences politiques, sociales et culturelles. Pourtant, cette première victoire de l’Abenomics devrait faire réfléchir l’Europe : contrairement au discours dominant en Europe, il existe des voies alternatives pour sortir de la crise. Ces voies sont opposées à celles choisies aujourd’hui sur le Vieux continent, mais elles montrent plus d’efficacité. L’expérience japonaise montre qu’une politique économique ambitieuse est encore possible. L’Europe aura-t-elle l’audace et la lucidité de retenir cette leçon ? 
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.