« Harper Regan » ou les peurs dans la ville

Le théâtre contemporain anglais, on le reconnaît à ses silences, ses attentes. Aux mots simples, quotidiens, qui soudain deviennent étranges, mystérieux et entraînent vers des énigmes, des suspenses. Ils font de la vie une aventure parfois effrayante. Harold Pinter ou Edward Bond nous ont déjà guidés vers ces chemins. Les nouvelles générations d'auteurs anglais suivent leurs traces, en laissant sur le bas-côté la dénonciation politique pour s'intéresser à l'intimité de la vie. Simon Stephens est de ceux-là. Avec « Harper Regan », présenté au Théâtre du Rond-Point, il dessine le portrait d'une femme à la recherche d'elle-même dans un monde qui l'ignore. On la suit de son travail à sa famille, de ses dérives sentimentales jusqu'au conformisme qui va l'enfermer à jamais.Simon Stephens agit par petites touches d'une cruauté et d'une vérité révélatrices. Les apparences sont trompeuses et chaque personne rencontrée est détentrice de secrets, de malaises qu'elle a bien du mal à exprimer. Harper Regan est une femme ordinaire, enfermée dans ses certitudes qui, soudain, voit tout s'écrouler autour d'elle. Aucune violence dans le propos. Tout agit en douceur, au-delà des apparences, ce qui provoque angoisse et malaise. On ne sait jamais dans quoi, dans quel mur elle va se cogner. La force de l'écriture de Simon Stephens, c'est justement la douceur insidieuse qu'il instille dans toutes les phrases, un regard sans jugement qu'il porte sur les gens.Dans une scénographie toute de verre et d'acier, froide comme les sentiments qui ne peuvent s'exprimer, le metteur en scène, Lukas Hemleb, place les personnages comme s'ils étaient un peu comme les fantômes d'une mémoire, appelés à disparaître, sans existence propre. Ce qui les rend encore plus terrifiants, insaisissables. Marina Foïs est Harper Regan. Cette comédienne s'impose comme l'une des plus grandes de sa génération. Toujours sur le fil du rasoir, ne cédant à aucune émotion factice. Au bord du précipice.La distribution réunie par Lukas Hemleb est juste. Parfaite. Caroline Chaniolleau est une mère terrifiante et pathétique à la fois. Louis-Do de Lencquesaing dans un double rôle, dont celui d'un zonard dragueur et raciste, révèle toute la veulerie du personnage. Gérard Desarthe est juste. Comme d'habitude. Pierre Moure et Alice de Lencquesaing sont juvéniles et touchants à souhait. Un théâtre à découvrir.Jean-Louis Pinte Théâtre du Rond-Point, 2 bis, av. Franklin-D. Roosevelt, 75008 Paris, tél. : 01.44.95.98.21. Jusqu'au 19 février.
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