Il n'y a pas de guerre des monnaies

 Lénine affirmait il y a près d\'un siècle que \"le moyen le plus sûr de détruire une nation était de circonvenir sa monnaie\". Irwin Stelzer, quant à lui, écrivait il y a quelques jours dans le Weekly Standard que \"Lénine se réjouirait de la guerre des monnaies\" actuelle, en cela qu\'elle contribuerait (selon lui) à détruire le capitalisme... Un siècle serait-il passé pour rien ? N\'avons-nous donc rien appris en cent ans ?Car il devient vital de s\'affranchir aujourd\'hui de cette orthodoxie étouffante, comme de cette pensée unique abrutissante, qui n\'ont de cesse de nous inculquer que les politiques de baisses de taux quantitatives menées par certaines banques centrales conduisent droit vers un conflit monétaire universel. Sans pouvoir nous expliquer du reste cette prétendue relation de cause à effet entre la politique expansionniste d\'une banque centrale et l\'affaiblissement de sa monnaie nationale. Mais il est vrai que celles et ceux qui usent de cette terminologie belliqueuse n\'ont toujours rien compris au processus de création monétaire mis au service d\'une économie, qu\'ils s\'obstinent à qualifier de \"manipulation\" ou d\' \"expérimentation hasardeuse\" entreprises par cette banque centrale.Alors qu\'il faudrait au contraire s\'incliner face au dynamisme et à l\'esprit innovant de certaines banques centrales dont les efforts sont entièrement orientés vers le rétablissement de leur activité économique et la diminution de leur chômage. Par exemple, comment ne pas approuver sans réserve le second programme de baisses de taux quantitatives (QE 2) de 600 milliards de dollars mis en place dès novembre 2010 par la Réserve fédérale US? Souvenons-nous de cette période extrêmement tourmentée d\'économie américaine stagnante en dépit de taux d\'intérêt sur le court terme excessivement bas, accompagnée d\'une intense fragilisation du système bancaire européen. La Fed n\'avait-elle judicieusement activé alors sa planche à billets afin de comprimer ses taux longs, déterminants dans le cadre de toute reprise, tout en prodiguant un soutien précieux aux banques européennes ? Elle fut pourtant largement taxée à l\'époque de chercher à affaiblir sa monnaie (en l\'imprimant généreusement) à travers le levier de sa création monétaire, qui autoriserait ainsi une relance par les exportations. Pour les chantres du néo-libéralisme (et donc d\'un Etat en peau de chagrin), la Réserve fédérale complotait au grand jour dans l\'intention manifeste de dévaluer le dollar et pour stimuler déloyalement son économie.La baisse du billet vert affecte-t-elle négativement le taux de chômage au Brésil ou le carnet de commande des entreprises chinoises, comme ne cessent de le prétendre les dirigeants de ces pays ? Le raffermissement de la monnaie de ces deux pays n\'est-elle pas simplement la conséquence de leur accession au rang de puissance industrielle et commerciale ? Pourquoi en effet ne pas considérer l\'appréciation d\'une monnaie tout à la fois comme la cause et comme la conséquence de l\'enrichissement d\'une nation ? Autant de mécanismes ignorés par la quasi-totalité des analystes - comme des gouvernants - qui optent plutôt pour un vocabulaire et pour une description cataclysmiques alors que la création monétaire permet de réduire le chômage au sein des économies \"intégrées\" tout en accélérant l\'industrialisation des émergents.Les Etats-Unis et le Japon ont-ils donc des intentions belliqueuses quand ils tentent de résorber leur chômage et de combattre leur déflation grâce au levier de leur création monétaire ? Car, loin d\'être le but recherché, la dépréciation de leur monnaie respective n\'est que l\'effet collatéral de leur politique expansionniste. Contrairement à la posture chinoise ayant usé et abusé de manipulation monétaire, les politiques mises en place aux Etats-Unis et au Japon peuvent effectivement provoquer une dévaluation de leur devise mais ne s\'apparentent nullement à de la manipulation, encore moins à une « guerre » quelconque. Contrairement à la guerre qui est évidemment un jeu à somme négative (je te détruis, tu me détruis), une politique monétaire expansionniste est un processus \"gagnant-gagnant\", le plus souvent suivi d\'effets bénéfiques pour le pays qui le met en place, et par ricochet pour ses partenaires commerciaux.La décision britannique de quitter en 1931 l\'étalon or, qui fut suivie progressivement par les Etats-Unis et par la France, ne devait-elle pas précéder le rétablissement de leur croissance ? N\'est-ce pas l\'abandon de l\'or et son corollaire, à savoir l\'expansion de la base monétaire, qui tournèrent définitivement la page de la Grande Dépression ? Et que ceux qui cherchent à ré écrire l\'Histoire revisent leur copie car ce n\'est pas l\'hyper inflation allemande du début des années 1920 qui fit parvenir Hitler au pouvoir, mais plutôt la politique déflationniste de Brüning une décennie plus tard. Au sein de cette même Allemagne qui dicte aujourd\'hui austérité et contraction à travers le continent européen, comme si - elle non plus - n\'avait retenu nul enseignement du passé...Après tout, l\'usage premier d\'une monnaie ne consiste pas tant à acheter d\'autres monnaies que, surtout, à l\'échanger contre des biens et des produits ! Voilà pourquoi la perte de valeur d\'une monnaie donnée incite le consommateur à acquérir plus de biens durables, et l\'entreprise à investir dans ses équipements et dans sa production. La dépréciation d\'une monnaie ne se répercute-t-elle pas sur la valeur de ces biens et de ces produits qui deviennent mécaniquement plus chers ? L\'augmentation des prix et des tarifs - en d\'autres termes : l\'inflation ! - ne motive-t-elle pas les entreprises à produire plus de biens qui seront destinés à être vendus à de meilleurs prix, et les consommateurs à acheter aujourd\'hui en anticipation d\'une élévation supplémentaire de ces mêmes prix ?Voilà pourquoi la politique expansionniste des pays industrialisés aux économies intégrées peut exercer un effet d\'entraînement généralisé sur l\'ensemble de leurs exportations. Certaines nations ne seront certes pas en mesure d\'améliorer substantiellement leur commerce extérieur. Il n\'en demeure pas moins que le niveau global des exportations mondiales s\'en trouvera largement amélioré car le Japon vendra plus de voitures, les Etats-Unis plus d\'avions, l\'Union européenne davantage de machines... Bref, la création monétaire et la perte de valeur consécutive de certaines devises majeures autoriseront la régression du chômage et l\'amélioration des revenus. Dans ce qui s\'apparente nettement plus à une reprise économique globalisée qu\'à une guerre.Les dévaluations compétitives ne sont donc pas un jeu à somme nulle qui autorise le pays qui les pratique à doper ses exportations aux dépens de ceux qui auraient décidé (pour une raison de principe aberrante) de ne pas pénétrer dans l\'arène de cette multiplication monétaire. Elles sont au contraire un formidable instrument de résurrection économique, surtout si le pays en question relève ses objectifs en termes d\'inflation, du fait de marchandises importées rendues nécessairement plus chères par la perte de valeur de sa monnaie nationale. On ne peut effectivement que rester admiratif face à l\'objectif explicite d\'une inflation à 2% défini par le gouvernement nippon qui se lancera dans de multiples acquisitions de papiers-valeurs et d\'actifs divers pour se donner les moyens d\'y parvenir. A cet effet, l\'exemple récent du Japon - qui consiste à créer de la monnaie et à promouvoir l\'inflation - est manifestement à suivre et à répliquer au sein de cette Union européenne si velléitaire.Loin d\'être un jeu à somme nulle, une dévaluation compétitive soutenue par une ambition inflationniste constitue donc un levier irremplaçable de relance d\'une activité économique anémique, voire déflationniste. Le Nikkei n\'est du reste pas la seule bourse à avoir applaudi aux décisions énergiques du nouveau gouvernement japonais, puisque c\'est l\'ensemble des marchés financiers mondiaux qui ont bien compris les retombées bénéfiques d\'une telle création monétaire sur la reprise globale. A l\'heure où les pays du \"noyau\" européen commencent à chanceler : avec une production industrielle française aux niveaux de 1997 et sa contrepartie allemande aux niveaux de 2007 et des ventes de détail en recul sans précédent de 4.7% pour ce même pays. Que la Banque centrale européenne fasse preuve de volontarisme et qu\'elle daigne à son tour mettre les \"mains dans le cambouis\" de sa planche à billets, au lieu qu\'elle et que les dirigeants européens ne cessent de se lamenter et de stigmatiser l\'initiative japonaise.Tandis qu\'elle et que nombre de nations de ce cœur européen sont obsédées par les frais de financement de leur dette souveraine, elles semblent n\'avoir toujours pas compris qu\'un pays émettant sa propre monnaie flottante n\'a pas à subir les mesures de rétorsion des marchés financiers. A cet égard, le cas du Japon qui se finance à des taux dérisoire en dépit d\'une dette publique phénoménale est, une fois de plus, éclairant. Une nation souveraine à la monnaie souveraine peut donc être fiscalement irresponsable sans que l\'envolée des frais de financement de sa dette publique ne vienne à grever sa croissance. Mais la BCE, l\'Allemagne et les autres nations exemplaires de l\'Union ont-elles seulement compris que des frais de financement de leur dette publique proches du zéro - ou nuls - sont précisément le meilleur reflet d\'économies stagnantes, voire au bord du précipice ? Car l\'augmentation des frais de financement de la dette publique peut également être un signal émis en direction d\'un Etat afin qu\'il réoriente ses liquidités au profit d\'investissements d\'avenir et à forte valeur ajoutée, et pour qu\'il interrompe ses dépenses \"keynésiennes\", au vu de la reprise qui s\'annonce. En conséquence, que l\'Allemagne (ou que la Suisse) ne tirent nulle fierté de leurs taux négatifs car ce n\'est vraiment pas cette capacité de se financer à des prix dérisoires qui sera le préalable à leur redémarrage économique.Dans le même ordre d\'idées, les politiques d\'austérité et de contraction aboutissent nécessairement et immanquablement à ...davantage de contraction économique! Car seule une politique activiste mêlant création monétaire et pression sur leur devise permettra aux citoyens européens d\'entrevoir le bout du tunnel. C\'est alors que les frais de financement de la dette publique européenne augmenteront: signal sans équivoque du grand retour de la croissance économique. Quand les européens auront-ils enfin compris qu\'il ne faut avoir peur que de la peur elle-même?*Michel Santi est un économiste franco-suisse qui conseille des banques centrales de pays émergents. Il est membre du World Economic Forum, de l\'IFRI et est membre de l\'O.N.G. \"Finance Watch\". Il est aussi l\'auteur de l\'ouvrage \"Splendeurs et misères du libéralisme\"
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