exposition

Lisette Model a révolutionné la photographie documentaire, initié cette veine subjective dont Diane Arbus - son élève - a été l'un des chefs de file, poussé l'art du portrait dans ses retranchements. Lisette Model (1901-1983) fait aujourd'hui l'objet d'une grande rétrospective dont « La Tribune » est partenaire, au musée du Jeu de Paume. Pour l'occasion, nous avons pioché 120 images en noir et blanc au sein de ses séries les plus emblématiques.Ce n'est pourtant pas de photographie dont rêvait Lisette Model enfant, mais de musique. Elle voit le jour à Vienne au sein d'une famille aisée de la bourgeoisie juive. Entourée de bonnes et de précepteurs, elle bénéficie de la meilleure éducation et prend même des cours avec le grand Arnold Schönberg, le père de la musique dodécaphonique sérielle. Qui lui enseigne l'art de l'harmonie, du rythme, de la remise en question des normes en vigueur. Une leçon de vie.Mais déjà, l'avenir s'assombrit. Le père de Lisette décède en 1924. Deux ans plus tard, sa mère plie bagage et rapatrie ses enfants en France, son pays natal. De musique, il n'est plus question. Sa soeur Olga l'initie à la photographie. Elle s'en empare de manière instinctive, descend dans la rue, immortalise les clochards, les aveugles dont elle s'approche au plus près.Les bons sentiments ? La compassion ? Très peu pour elle. Lisette embrasse l'humanité de manière brute, radicale dans ses cadrages, ses gros plans ou ses contre-plongées. À ces photos du petit peuple s'oppose celle des oisifs fortunés de la Promenade des Anglais, vieilles peaux ratatinées sourdes au chaos qui s'annonce. Et qui pousse Lisette à émigrer aux États-Unis en 1938.New York est alors une fête et la photographe est électrisée par l'énergie de la ville. Pour raconter ce crépitement sans fin, elle se focalise sur les vitrines des magasins dans lesquelles se reflètent gratte-ciel, passants ou trafic automobile. Images vertigineuses de la série « Reflections ». Elle pose aussi son appareil au ras du bitume et capte les pas pressés de ses concitoyens (« Running Legs »). On la retrouve ensuite dans le Lower East Side, à photographier les matrones de ce quartier d'émigrés. Le soir, elle croise Weegee dans les cabarets de travestis, empruntant aux expressionnistes allemands ou à Daumier pour immortaliser tout ce petit monde en noir et blanc.La guerre froide sonne le glas de ces belles années. L'Amérique renoue avec le conservatisme. Et le travail de Lisette est trop radical à ses yeux. Commandes et expositions se raréfient. Reste l'enseignement, dans lequel la photographe excelle, préférant aider ses élèves à trouver leur propre voie, plutôt qu'à leur imposer quoi que ce soit. Une leçon de vie là encore.Yasmine Youssi
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