La rigueur, quelle rigueur  ?

La montée en puissance de l'austérité fait craindre une période de faible croissance généralisée dans la zone euro, dont les effets pervers seraient d'accentuer le besoin d'ajustement. Avec une situation budgétaire qui ne s'améliorerait que peu, une demande et une croissance pénalisées par les efforts, le scénario japonais menacerait la zone euro. En réalité, l'ajustement en zone euro est assez gradué selon les pays et dans le temps. Si les pays de la périphérie ont entamé des ajustements drastiques, les pays du coeur ne le feront qu'à partir de 2011 et de façon progressive.L'Allemagne a tiré fort en apparence en annonçant un plan de 80 milliards d'euros d'économie sur 2011-2014, appuyé sur un échantillon de mesures précises. En proportion du PIB, l'effort annuel monte en réalité progressivement en puissance au fur et à mesure que la reprise devrait s'avérer plus solide : 0,4 point de PIB en 2011, 0,7 en 2012 et 0,9 en 2013 et 2014, soit un effort total de 3 points de PIB qui permet à l'Allemagne de rentrer dans les clous du Pacte de stabilité.Avec une stratégie de communication significativement différente, la France annonce un effort à peu près similaire. Appliquons l'effort en point de PIB réalisé par l'Allemagne à la France : 0,4 point de PIB en 2011 c'est 8 milliards d'euros, 0,7 point en 2012 c'est 15 milliards et 0,7 point en 2013 c'est 19 milliards, soit un total de 42 milliards : nous ne sommes pas loin des 50 milliards d'effort structurel annoncés par le gouvernement (les 50 autres milliards viendraient du retour de la croissance). Prolongeons l'effort d'un an comme en Allemagne et on atteint les 60 milliards en cumulé, soit un effort de redressement total de 3 points de PIB. Mais comme la situation de départ entre France et Allemagne est différente (moins de 5 % du PIB de déficit en Allemagne en 2010, près de 8 % en France), il est à craindre que Paris doive rouvrir le dossier de l'ajustement budgétaire si la croissance se révélait décevante. En effet, alors que le programme d'ajustement budgétaire de l'Allemagne repose sur une croissance nominale du PIB de 3 % (2 % de croissance réelle, 1 % d'inflation, chaque année), celui de la France repose sur une croissance de 4,25 % (2,5 % de croissance réelle annuelle, 1,75 % d'inflation par an).De la même façon, la réforme des retraites est en réalité très graduelle en France. D'abord, l'équilibre n'est visé que pour 2020. Ceci a deux implications : 1. On continue d'accumuler des déficits jusque-là (de l'ordre de 35 milliards au moins sous l'hypothèse d'une hausse des recettes de cotisations qui découlerait d'un retour escompté du chômage à 4,5 %, un niveau jamais atteint depuis la fin des années 1970). 2. Au-delà de 2020, les prévisions du COR montrent une dégradation accentuée des déficits. En outre, le Fonds de réserve des retraites (environ 33 milliards) est transféré à l'agence de la dette de la Sécurité sociale et ne remplira plus le rôle d'amortisseur pour les retraites futures qui lui était assigné. Avant l'échéance 2020, il faudra donc rouvrir le dossier des retraites (et plus généralement de la Sécurité sociale).L'Italie aussi montre une stratégie modérée de rigueur : l'effort supplémentaire est modeste, 25 milliards d'euros sur 2 ans et demi. La moitié viendrait de la lutte contre l'évasion fiscale (juste après une grande amnistie, ce qui diminue d'autant la capacité d'accroître ce type de recettes), et près d'une autre moitié serait un plafond sur les dotations aux collectivités locales, sans contraintes sur les dépenses, ce qui a des chances limitées de succès.Alors que la France, l'Allemagne et l'Italie représentent environ les deux tiers du PIB de la zone euro, nous pouvons être rassurés : la rigueur de la zone euro est modeste, quasi nulle cette année, moins d'un point de PIB l'an prochain. Dans le même temps, l'euro s'est déprécié de près de 20 %, et sans volatilité excessive. Cette baisse, même si elle se stabilise, devrait compenser largement les effets restrictifs de la rigueur modérée annoncée, surtout chez les grands pays de la zone qui, soit exportent beaucoup hors de la zone (Allemagne), soit sont plus sensibles aux fluctuations des changes (France, Italie). Hélas, les effets de l'euro seront temporaires et la modestie des ajustements annoncés pourrait bien laisser place à plus de sévérité à l'horizon 2012.Point de vue Laurence Boone Chef économiste, Barclays Capital, membre du Cercle des économistes.
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