Avis de rébellion en Grande-Bretagne

« Nous avons une chance unique de changer l'histoire de ce pays. Mais cela dépend de nous. Il faut que nous montions en puissance, que nous nous lancions dans une escalade de manifestations. » Emporté par sa rhétorique, le jeune homme scande les dernières syllabes. Salve d'applaudissements. Un autre orateur lui succède : « Partout dans le pays, les manifestations se multiplient. Les mouvements contre les coupes budgétaires se rassemblent. Il faut accélérer la contagion. »La scène se déroulait mi-janvier, à Londres, dans une salle de l'université SOAS (School of Oriental and African Studies). C'était la première assemblée générale des leaders du mouvement de contestation étudiant après les vacances de Noël. En ce dimanche après-midi, les cours n'avaient pas encore repris, mais plus de 200 personnes étaient réunies. Objectif : relancer un mouvement qui a surpris tout le monde l'an dernier, avec une série de manifestations populaires et très médiatisées. De nombreux signes semblent indiquer que les étudiants sont en train de réussir à mobiliser au-delà de leur propre mouvement. Ce mercredi, ils organisent une première journée d'action à Londres (sans doute d'assez faible ampleur). Puis samedi, ils tiennent une manifestation au centre de Londres, tandis que les syndicats - grands absents des défilés étudiants jusqu'à présent - appellent à un rassemblement de jeunes à Manchester. Dans le même temps, partout dans le pays, des dizaines de mini-événements sont organisés, souvent contre les coupes budgétaires en train d'être votées dans les mairies. Le tout fait boule de neige et doit mener à une grande mobilisation nationale le 26 mars, organisée par le Trades Union Congress (TUC, la principale confédération syndicale). Cela commence à sérieusement inquiéter le gouvernement Cameron. « Nous avons créé une dynamique qui ne va plus s'arrêter », promet Feyzi Ismail, une étudiante très active dans l'organisation des manifestations.D'autant que le mouvement est difficilement contrôlable : ni les syndicats officiels, ni les principaux partis politiques n'y ont vraiment participé jusqu'ici. Le syndicat étudiant NUS (National Union of Students) était bien derrière la première grande manifestation mi-novembre, qui avait rassemblé 50.000 personnes (quatre fois plus qu'attendu), mais il s'était détaché de la suite du mouvement, craignant que les violences (très limitées, mais réelles) ne l'entachent sérieusement. Si bien que l'extrême gauche, d'habitude quasi inexistante dans le pays, l'a récupéré. Les 200 leaders présents à SOAS mi-janvier représentaient presque autant de chapelles radicales : Socialist Workers Party, Student Broad Left, Counterfight... Ces mouvements n'ont rien de nouveau. Mais, pour la première fois depuis longtemps, leurs appels sont suivis d'effet. « Depuis Thatcher, les gens se disaient : ça ne sert à rien de manifester, ça n'a aucun effet, estime James Meadway, l'un des leaders étudiants. Mais ils sont en train de changer d'avis. »Ce début de mobilisation a pu se vérifier début janvier, lors de la rencontre Netroots UK. Ce mouvement - copiant celui du même nom créé aux États-Unis - cherche à organiser les forces « progressives » (comprenez : de gauche) du pays, notamment avec l'appui d'Internet. Au Royaume-Uni, c'était une première. Plus d'un millier de personnes étaient présentes, syndicats mais aussi petits groupes souvent informels, s'activant chacun de leur côté : l'un s'oppose à l'évasion fiscale, un autre documente les restrictions budgétaires mairie par mairie, un troisième dirige un site Internet de pétitions en tout genre... Seul grand absent : le Parti travailliste, qui veut éviter de paraître trop radical en s'alliant à ces groupes. Le pari de ces activistes, et des étudiants, est le possible retournement de l'opinion britannique. Jusqu'à peu, une majorité de la population soutenait l'austérité. Mais c'était très théorique : les coupes budgétaires n'étaient pas encore entrées en vigueur. Leur application commence en avril, début de l'année fiscale ici. Alors que se rapproche l'échéance, l'agacement populaire croît. Les sondages indiquent qu'une majorité des Britanniques juge désormais les coupes injustes socialement, même si la plupart d'entre eux les pensent encore inévitables. « Une minorité de la population est très en colère, et c'est ce que les manifestations ont montré, explique Nigel Stanley, de la confédération syndicale TUC. La question maintenant est de savoir si le reste de la population peut être converti. » Pour Donnacha DeLong, syndicaliste, ce n'est qu'une question de temps : « Quand les gens subiront directement les coupes, ils se rebelleront. » Quelle forme prendra la mobilisation ? « Cela va provoquer des émeutes, plutôt que des manifestations organisées », estime Alex Tambourides, activiste de longue date. Pour lui, faute d'organisation centralisée, les explosions sporadiques sont plus probables qu'un mouvement « à la française », où syndicats et opposition s'unissent.Pour l'instant, le gouvernement de coalition réplique assez sèchement, en insistant sur les violences. Mais David Cameron, le Premier ministre, envisage des mesures plus dures. Il menace de renforcer les lois antigrève, pourtant déjà parmi les plus dures au monde : les grèves de solidarité sont interdites, et il faut un vote à bulletins secrets des syndiqués. Boris Johnson, le maire de Londres, veut modifier cela, pour que le vote se fasse à la majorité des personnes inscrites, et non à celle des votants. « Je serai heureux de regarder cette proposition, lui a répondu David Cameron, parce que je ne veux pas d'une vague de grèves irresponsables. » Pour l'instant, il n'a pas à passer aux actes, la contestation n'en étant qu'à ses débuts. Qu'en sera-t-il dans quelques mois ?
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