La sortie ratée d'un bâtisseur trop gourmand

Si l'homme qui comparait depuis hier devant le tribunal correctionnel de Nanterre pour abus de biens sociaux a pu se faire verser des rémunérations hors normes, c'est d'abord parce qu'il a été le bâtisseur du numéro un mondial de la construction et des concessions : le groupe Vinci. Avant d'incarner une certaine cupidité patronale, Antoine Zacharias fut le héros d'une vraie success story à la française, un homme qui a grimpé tous les échelons, qui a réinventé les modèles économiques de secteurs peu en vogue, et pour qui le goût de l'argent fut un formidable moteur avant qu'il ne précipite sa chute. « Quand je suis arrivé, la société valait 40 millions d'euros, a-t-il lâché jeudi, à la barre. Quand je suis parti, 40 milliards. J'ai multiplié sa valeur par mille. Cela, personne ne me l'enlèvera jamais. »Né en 1939 à Sarreguemines en Moselle, où il passe sa petite enfance sous l'occupation allemande, il en garde un ton et des manières abruptes qui toujours surprendront son entourage. A la sortie d'une petite école d'ingénieur, il entame sa carrière chez un entrepreneur italien du bâtiment, Celentano, à Forbach, ville où il rencontre sa femme. Cinq ans plus tard, il entre comme commercial à la Compagnie Générale des Eaux à Arras: en 1971, il a 32 ans et exige déjà primes et augmentations en récompense des contrats de concession qu'il décroche. Muté à Boulogne-sur-mer, puis très vite à Lyon, il s'y construira, dix-sept ans durant, la stature d'un baron régional de l'eau qui connaît tous les robinets de l'Auvergne à l'Isère, en passant par la Bourgogne et la Franche-Comté. C'est là qu'il comprend qu'un contrat de concession se travaille chaque jour pour être profitable et, à terme, renouvelé. C'est aussi là qu'il apprend à gérer les politiques. Et quand il décroche le contrat de la ville de Lyon, après soixante-dix ans d'absence de la CGE, il gagne ses galons d'homme de Guy Dejouany, le très redouté patron de la CGE. Quand en août 1990, ce dernier l'appelle pour entrer chez SGE, le pôle bâtiment du groupe en perte chronique, on le donne perdant. Pour tout le monde, celui qui ignore la rudesse des chantiers ne peut qu'être la marionnette d'un Dejouany qui le marquera de près. Il se soumet à la lourde tutelle, mais parvient à réduire les pertes de SGE. Et quand Jean-Marie Messier prend la tête de la CGE en 1997, il le nomme PDG de la branche BTP : pour lui, c'est le début de l'émancipation et de l'enrichissement. Occupé à construire un groupe de communication, le dauphin de Dejouany ne s'intéresse guère au BTP, et dès 1999, amorce son retrait. Au même moment, le grand concurrent Suez projette lui aussi de sortir de son pôle BTP appelé GTM. toujours plusAlors que le secteur est mal valorisé par les marchés, Antoine Zacharias comprend qu'en le mariant avec une activité de concession, il sécurise à la fois son plan de charge et son cash-flow futur, tout en augmentant sa valorisation. La fusion de SGE avec GTM, en 2000, le renforce dans la société autoroutière Cofiroute, et dans les parkings de centre-ville, dont il se sert pour faire de Vinci une vraie marque. Et le hisse au premier rang mondial du BTP, en faisant de ce métier à risque une vraie source de profits. Sa stratégie gagnante lui donne des ailes. Quand en 2002, Bercy met sur le marché 40 % du capital des Autoroutes du Sud de la France pour ne pas les lui vendre, il ramasse sur le marché 17 % du capital. Et face à des ministres qui se succèdent, il persiste, fait de l'entrisme auprès de la direction des ASF comme des politiques, et finit par remporter fin 2005 la société publique sans qu'aucun rival ne vienne le concurrencer. Cette dernière victoire lui fera perdre pied avec le réel. Il veut toujours plus. Quand, début 2006, son DG, Xavier Huillard, résiste à sa demande d'une commission de 8 millions sur l'acquisition des ASF et mobilise les administrateurs, Antoine Zacharias veut l'évincer. Ce n'est qu'à ce moment que l'establishment français, qui redoute les effets de l'affaire Zacharias sur l'image du patronat en France, le lâche. Si Antoine Zacharias a gagné beaucoup d'argent, il a aussi enrichi tous ses adjoints, à commencer par son successeur qui n'a pas changé un iota à la stratégie gagnante, ses salariés et... ses conseillers. Dont son « ami » Alain Minc qui a gagné une petite fortune sur la fusion SGE/GTM, puis sur la bataille de trois ans pour le rachat des ASF, alors même qu'il était au conseil d'administration de Vinci. Or ceci, tout le monde semble l'avoir oublié. Valérie Segond
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.