« Les gouvernants chinois pilotent leur siècle »

Est-ce que la crise a changé l'attitude de la Chine sur le marché des matières premières qu'elle domine depuis plusieurs années ?Ce qui a changé, c'est la perception de la Chine par le reste du monde. Durant les années 2000, son image était celle de l'usine du monde, celle qui transformait les matières premières pour les réexporter sous forme de biens de consommation. Sur le terrain, on se rendait compte que c'était plus la construction de l'usine elle-même avec toutes les infrastructures nécessaires qui absorbait des tonnages de matières premières impressionnantes. On dit aujourd'hui que la Chine veut réorienter sa croissance économique. Mais c'est faux. En fait, la Chine a toujours eu une optique de développement, et non de croissance. La différence est qualitative. Le plan de relance annoncé l'année dernière a simplement concentré des plans d'investissements dans le temps : des fonds ont été injectés plus rapidement dans l'économie parce que l'État a modifié à la marge la redistribution de ses dépenses. Mais l'action reste inscrite sur le long terme. Les gouvernants chinois ne gèrent pas de la politique économique. Ils pilotent leur siècle.Par quel moyen ?Dans une économie de marché, c'est le client qui est roi. C'est ce qui s'est passé avec les États-Unis : les Américains ont assis leur pouvoir sur le fait qu'ils étaient les premiers consommateurs du monde. Les marchés financiers leur font confiance, et supportent leur dette parce qu'ils sont les premiers et qu'on prête toujours à son plus gros client. La Chine a l'ambition de devenir le premier client du monde.Comment les Chinois peuvent-ils parvenir à une telle hégémonie ?Ils n'ont pas de problème de financement, ni de main-d'oeuvre, ni de technologie, ni de formation. En revanche, ils ont un vrai problème en ce qui concerne les ressources physiques. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils s'arc-boutent sur le Tibet, d'où proviennent les deux tiers des ressources en eau du pays. Ils ont une approche très rigide de la gestion des ressources. Aujourd'hui, ils sont prêts à offrir des conditions financières extraordinaires aux pays qui en détiennent, notamment en Afrique, mais aussi à l'Iran, qui a du pétrole et du gaz. Non seulement ils sont prêts à payer une prime pour mettre la main sur le pétrole, les minerais voire les terres dont ils auront besoin plus tard, mais en plus, ils proposent de tisser des liens plus serrés. Qui relèvent plus de l'alliance politique que du simple partenariat commercial. Les Chinois s'engagent ainsi à construire non seulement des infrastructures, mais aussi à assurer la sécurité des échanges, voire la sécurité d'une zone. Ils peuvent aussi apporter un appui politique international au pays, notamment à l'ONU.En quoi cette approche est-elle originale ?Le développement de la Chine est tout à fait différent de celui qu'ont pu connaître le Japon ou l'Allemagne après la Seconde Guerre mondiale : il est soutenu par une volonté de puissance qui permet au pays de se projeter dans le très long terme.Quelle est l'attitude de la Chine sur les marchés des matières premières ?Les Chinois avaient des marchés à terme sur le riz il y a plus de deux siècles. Ce sont des outils qu'ils manipulent très bien, même si l'État les considère avec une certaine ambiguïté. Il y a des zones grises, difficiles à comprendre pour les non-Chinois, sur ce qui est légal, ou non. Plusieurs scandales ont d'ailleurs éclaté sur des traders accusés de spéculer pour spéculer plutôt que pour couvrir un risque de prix. Ce qui est sûr, c'est que les énormes marchés dérivés chinois, organisés par plusieurs Bourses, sont aujourd'hui très hermétiques. Sur plusieurs matières premières, dont le fioul lourd utilisé par les centrales thermiques et les navires, les contrats chinois sont les plus importants au monde. Mais il est quasiment impossible pour une banque étrangère de mettre un pied sur ce type de marché, tant les obstacles sont nombreux.La domination de la Chine sur les matières premières va-t-elle perdurer longtemps ?Dans les quinze à vingt prochaines années, il y a fort à parier que la machine va continuer à tourner à plein régime. Ensuite, la consommation ralentira, mais il n'est pas impossible que d'autres pays prennent le relais, je pense notamment au Brésil et à l'Inde.
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