Banque et rente  :  un couple qui fonctionne à merveille

lyse Valérie Segond Grand reporter à « La Tribune »Si, dans la banque, les bonus sont trop gros, c'est parce que les profits des banques de financement et d'investissement (BFI) sont devenus exorbitants. Inaudible il y a peu, ce constat a gagné en respectabilité lorsque lord Turner, le patron du régulateur britannique, dénonça haut et fort les « profits indécents d'un secteur hyper- trophi頻. Une rentabilité moyenne des capitaux engagés de 23 % selon l'agence de notation Standard and Poor's, et jusqu'à 40 % à 50 % dans certaines d'entre elles, contre un timide 10 % dans les entreprises commerciales. « Cette profitabilité exceptionnelle s'explique par la rente dont bénéficient les banques », affirmait, aux derniers ateliers de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), David Laugier, directeur général de Bfinance, un cabinet qui conseille les entreprises dans leurs relations avec les banques. Alors, les banques sont-elles dans le trou noir du droit de la concurrence ? Leurs dirigeants, naturellement, s'en défendent, affirmant que la concurrence vient de partout, en particulier de l'étranger. Pourtant, l'analyse fine des tarifs des services bancaires indique que la banque n'est pas dans une confrontation classique entre l'offre et la demande. Pour David Laugier, il y a un signe qui ne trompe pas : face à des commissions fixées d'emblée, des conseils non facturés de manière transparente, ou des prestations ultratechniques, la négociation des tarifs bancaires est proprement impossible.Or leur position de force n'a fait que s'accroître avec la fantastique concentration du secteur depuis vingt ans : aujourd'hui en Europe, 22 banques assurent 60 % de l'activité. Ce qui a fini par créer un véritable oligopole, en particulier sur les produits financiers les plus juteux, comme par exemple les produits dérivés. Les rentes sont d'autant plus solidement établies que les tickets d'entrée sont devenus très chers. Et, au nom de la compétitivité de la place et grâce à un copinage entre gens issus des mêmes écoles, les champions nationaux ont imposé leur loi aux régulateurs bancaires nationaux. En juin dernier, Adrian Blundell-Wignall, de l'OCDE, expliquait que l'abrogation de la loi Glass-Steagall Act en 1999, et la modification de la réglementation de la SEC, en 2004, qui fit passer les banques d'investissement sous la tutelle d'une SEC moins exigeante, découlaient bel et bien de la « captation du régulateur » par les banques elles-mêmes. Ce qui est étonnant, c'est qu'aucune autorité nationale de la concurrence ne se soit jamais souciée de ces pratiques. Est-ce un problème ? « Jusqu'à récemment, dit Noël Diricq, conseiller maître à la Cour des comptes, personne n'y trouvait rien à redire, estimant que l'oligopole bancaire était un élément de stabilité du système. » Même encore aujourd'hui, peu de personnes osent évoquer l'existence d'un lien entre cette situation et la crise. En juin dernier, l'OCDE concluait sans sourciller qu'elle résultait « d'un défaut de la réglementation du marché des capitaux et non d'une défaillance de la concurrence ». Moins formel, Noël Diricq tente aujourd'hui une analyse plus subtile : « L'aveuglement du système financier est bien lié à la puissance de sa rente, tout comme la force de l'aléa moral dans ce secteur et la captation des régulateurs qui a abouti à l'inhibition pure et simple des mécanismes de sanction. » Pourtant, soucieuse de créer un marché unique, la Commission européenne surveille depuis longtemps le secteur. C'est bien de l'Europe qu'est venue l'exigence de concurrence. Quand la crise est venue, elle a assoupli ses exigences pour empêcher un effondrement du système : elle a redéfini les bases juridiques des aides, simplifié les procédures, accéléré ses prises de décision. Mais sans jamais baisser la garde : « l'Europe est même le seul endroit au monde où les aides d'État ont été contrôlées », insiste Jacques Derenne, avocat associé du cabinet Lovells LLP, à Bruxelles. Et aujourd'hui, elle prépare activement la sortie des 60 régimes d'aides qui ont été mis en ?uvre. Pendant ce temps, si les États-Unis ont laissé fermer une centaine de petites banques, ils ont accordé des aides massives aux plus grosses d'entre elles dans l'opacité la plus totale. La vigilance de la Commission a-t-elle empêché la concurrence de se réduire ? Non. Tout au plus, elle a empêché le protectionnisme de triompher, même si Bruxelles s'est fait prestement renvoyer dans ses buts lorsque Londres a fusionné Lloyds et HBOS. Ce qui ne lui a pas interdit de revenir récemment à la charge, et de convaincre Gordon Brown des méfaits d'une trop grande concentration. Mais, au total, le nombre de banques sortira réduit de la crise, et leur rente renforcée. Il suffit de voir comment toutes en ont profité pour augmenter leurs tarifs pour s'en convaincre : les crises, c'est un bon moment pour les banques, celui où triomphe la puissance de leur rente. Et ce, explique l'économiste Jacques Delpla, parce que leur faillite n'est tout simplement plus envisageable, et qu'elles ne paient pas le juste prix de la garantie d'état. Décidément, banque et rente forment un couple qui fonctionne à merveille, promet d'enfanter de bien belles crises, lesquelles viendront renforcer ce couple modèle.
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