« L'absence de politique économique coordonnée de la zone euro n'est pas supportable en période de crise »

Les réunions du FMI et du G20, la semaine dernière, ont montré que la régulation du secteur financier n'avance guère...En matière de régulation financière, on est encore loin du compte. Ce n'est pas surprenant, parce que ce sont des questions extrêmement techniques. Il faut rappeler que pour élaborer les normes dites de Bâle II, on a mis douze ans ! On ne prendra pas ce temps-là aujourd'hui, on ne l'a d'ailleurs pas. Mais le travail sérieux n'a été lancé qu'il y a un an. Le calendrier de la complexité technique n'est pas le même que celui de la politique : dans tous les pays où la puissance publique a aidé les banques, l'opinion publique réclame que l'on agisse. On avance donc aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France, alors que d'autres pays sont plus réticents, le Canada ou le Japon, parce que l'urgence est moins forte pour eux, leur système bancaire n'ayant pas été touché autant.Certains pays ont critiqué votre projet de taxe bancaire destiné à abonder un fonds de sauvegarde du système financier...Je suis convaincu que, derrière la question financière à traiter, il y a un problème politique, touchant à la démocratie. On a réussi cette fois-ci à mobiliser le contribuable pour sauver le système financier. Je ne suis pas du tout sûr qu'on y parviendrait encore si d'aventure une crise voisine se produisait dans les années qui viennent. Surtout quand on voit le comportement de certains acteurs du système financier, qui font comme s'il ne s'était rien passé et reviennent à leurs pratiques d'avant, notamment en matière de rémunérations et de bonus ! L'idée est donc de créer une sorte d'assurance, qui permette au système financier de se rétablir en cas de crise. Les pays intéressés par l'idée sont ceux qui ont connu une crise bancaire, alors que les autres estiment qu'il suffirait d'édicter des règles plus contraignantes.Vous avez pointé le risque d'incohérence, d'incompatibilité entre les différents projets de régulation nationale qui sont en cours.Oui, il y a là un vrai risque. Il faut une coordination mondiale, pour éviter que les institutions financières ne choisissent de s'installer là où la réglementation serait la plus souple. Ce serait préjudi- ciable à la concurrence, et cela ferait le lit des crises à venir.Le projet de régulation du président Obama contient-il des dispositions incompatibles avec une régulation mondiale ?On ne sait pas encore très précisément, il faut attendre le vote du Congrès, qui apporte parfois des modifications importantes sur les textes proposés par l'administration américaine. L'une des questions délicates est de savoir quelles règles s'appliquent en cas de crise : celles du pays où la crise se produit, ou bien celles du pays d'origine de l'institution financière ? Nous avons buté sur cette difficulté dans la crise d'Europe centrale. Si on laisse chacun se comporter selon les règles de son pays d'origine, nous aurons des situations inextricables.Comment se déroule l'intervention du FMI en Grèce ?Pendant plusieurs mois, la seule chose que nous a demandée la Grèce, c'est une assistance technique, que nous avons fournie. Il y a une dizaine de jours, elle nous a demandé d'engager des discussions en vue d'un possible programme de soutien. Nous avons donc envoyé nos équipes, qui ont été un peu retardées par les perturbations du trafic aérien causées par l'éruption volcanique islandaise. La Grèce est dans une situation budgétaire difficile. Son économie souffre d'un manque de compétitivité. Nous sommes en train d'élaborer avec le gouvernement d'Athènes un chemin raisonnable de retour à une situation normale.On vous reproche d'imposer des mesures d'austérité drastiques.Nous avons le rôle d'un docteur : quand on nous appelle, c'est qu'on est malade. Mais la maladie est toujours antérieure à l'arrivée du docteur. Lorsque nous arrivons, nous débloquons des ressources pour financer une période de transition. En contrepartie, le pays aidé s'attache à régler ses problèmes, qui sont souvent d'origine budgétaire. On n'impose rien du tout. C'est le gouvernement souverain qui décide des mesures concrètes à prendre. Nous donnons le cadre général pour revenir à la santé.La situation sociale et politique en Grèce se durcit, et l'on voit se multiplier les manifestations d'hostilité à l'encontre du FMI.Nous sommes là pour aider les Grecs. Si on ne les aide pas, ils vont être dans une situation insoutenable. Je ne dis pas que si on les aide, ce sera facile. Ce sera difficile. Il faut que les Grecs aient présent à l'esprit que le redressement de leurs comptes publics, après plusieurs années de dérapages inconsidérés, va être pénible et difficile. Mais il n'y a pas d'autre solution pour en sortir. Croire qu'il suffit de congédier le médecin, lorsqu'il prescrit des remèdes désagréables, pour ne plus être malade, serait une illusion totale. J'ajoute que les ressources prêtées proviennent des contributions des autres pays. Si nous prêtons à la Grèce, il y aura une contribution de très nombreux pays, y compris de pays assez pauvres. La solidarité internationale repose sur l'idée que chacun des membres de la « coopérative » fait les efforts nécessaires, à la demande des autres. Dans les pays où l'opinion publique est plus consciente de cela, les programmes du FMI se déroulent bien, et ils sont plus efficaces.Comment s'articulent l'intervention du FMI et celle de la zone euro ?Notre pays membre, c'est la Grèce. Il n'y a pas de membre du FMI qui s'appelle zone euro. Nous intervenons donc seulement en fonction de ce que nous demande le gouvernement grec. Nous collaborons étroitement avec l'Union européenne, comme nous l'avons fait lors de la crise en Lettonie, en Hongrie ou en Roumanie. Mais formellement, au regard du droit, celui du traité international qui nous gouverne, c'est la Grèce le pays membre du FMI et c'est avec elle que nous négocions. Les Européens ont pensé dans un premier temps qu'ils pouvaient régler le problème seuls, et c'est tout à fait compréhensible. Puis ils se sont rendu compte que ce serait plus difficile que prévu, que cela exigeait une technicité que le Fonds monétaire avait, et des ressources que nous avions également, en partie grâce aux Européens eux-mêmes d'ailleurs.A-t-on jamais vu des ajustements budgétaires si violents réussir sans une dévaluation de la monnaie, aujourd'hui impossible pour la Grèce ?Oui, les Belges l'ont fait. Les Finlandais l'ont fait. Les Irlandais le font, sans l'intervention du FMI, les Portugais y travaillent.C'est la crise qui explique la détérioration si brutale des finances publiques ?Le point de départ de la dette était déjà élevé : avant la crise, la dette publique représentait 80 % du produit intérieur brut (PIB) en moyenne dans les pays développés. Nous estimons qu'elle atteindra 120 % en 2015. Sur cet écart de 40 points de PIB, seul un dixième provient des plans de relance. Le reste s'explique pour l'essentiel par l'effondrement des recettes fiscales et les « stabilisateurs » comme les dépenses d'indemnisation du chômage.Pourquoi vous rendez-vous mercredi en Allemagne ?Je vais rencontrer la chancelière, Angela Merkel, dans le cadre d'une réunion avec les autres dirigeants d'organismes internationaux qui était prévue depuis longtemps. Je vais bien sûr en profiter pour échanger avec les responsables allemands sur la situation européenne.La crise a été causée par des déséquilibres économiques planétaires. Or, ces déséquilibres ne se résorbent pas. Ne peuvent-ils pas compromettre la reprise ?La crise provient d'abord de l'insuffisante supervision et de la mauvaise régulation du secteur financier. Quant aux déséquilibres planétaires, qui ont bien sûr joué, la crise peut aider à les résorber. Je note que la Chine a mis en oeuvre en 2008 un plan de relance qui est aussi un plan de recentrage de la croissance sur sa demande intérieure, ce que le FMI conseillait depuis longtemps. Cette évolution va prendre du temps. Mais elle contribue à réduire les déséquilibres.Sans réévaluation de la monnaie chinoise, cette évolution est-elle possible ?La réévaluation du renminbi est cohérente avec ce recentrage. Elle permettrait de lutter contre les tensions inflationnistes internes. Il est clairement de l'intérêt des Chinois eux-mêmes d'opérer cette réévaluation. Je pense donc que la réévaluation du renminbi va se faire, de façon progressive. À l'autre extrémité, il y a un pays qui accumule les déficits, les États-Unis. Mais là aussi, le balancier revient dans le bon sens. L'une des conséquences de la crise, c'est que le taux d'épargne des ménages américains est remonté en flèche. Des deux côtés de la balance, les forces rééquilibrantes sont en action.Si les ménages américains consomment moins, qui va tirer la croissance mondiale ?Un raisonnement simple voudrait que les ménages asiatiques prennent le relais des ménages américains. Mais ce raisonnement n'est pas sérieux. Il se vérifiera peut-être dans vingt ans. Pour l'instant, que ce soit en termes de quantité ou de nature de produits consommés, les ménages asiatiques ne peuvent pas remplacer les Américains. Si ceux-ci achètent moins de produits électroniques, un consommateur asiatique ne compensera pas en achetant davantage de riz. Les ajustements ne se font pas ainsi. Le monde demain ne sera pas identique à celui d'avant la crise. Il n'y a pas encore de réponse claire à la question du modèle de croissance de demain. Cela explique les inquiétudes causées par les divergences de croissance dans le monde. La sortie de crise à plusieurs vitesses crée de nouveaux déséquilibres et de nouveaux rapports de force.L'Allemagne a aussi été très critiquée, notamment par Christine Lagarde, pour ses excédents considérables. Partagez-vous cette critique ?Parlons d'abord de la zone euro. Du point de vue des équilibres mondiaux, la zone euro ne crée pas de problèmes. Mais à l'intérieur même de la zone, il y a des déséquilibres importants. Voilà dix ans que certains expliquent que l'euro n'est qu'à moitié achevé. La réalité est en train de leur donner raison. L'absence de politique économique coordonnée est supportable en période calme, mais pas en période de crise. Une politique coordonnée au sein de la zone euro pourrait encourager une consommation plus forte en Allemagne.Pendant longtemps, le « consensus de Washington », cette politique économique libérale préconisée par le FMI, a fait autorité. La crise ne l'a-t-elle pas dévalué ?Le consensus de Washington est mort. L'idée d'une politique économique universelle, c'est la médecine de Molière : la saignée, la saignée, la saignée. La médecine moderne, c'est le traitement individualisé. On a beaucoup critiqué le FMI pour avoir imposé ce « consensus », mais il n'en a jamais été à l'origine : le monde entier croyait alors à ces axiomes. Le nouveau consensus qui est en train d'émerger, c'est la nécessité de coordonner des politiques économiques, ce sont les vertus du multilatéralisme. Nous retrouvons aujourd'hui les principes qui ont présidé à la création des institutions de Bretton Woods. Principes qui ont inspiré Keynes et White, après les grandes peurs de la guerre et de la crise des années 1930.Propos recueillis par L. C. et F. L.
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