Pire qu'un immigré latino à New York ? Un clandestin africain

C'est une armée industrieuse et discrète. Jusqu'à 30 fois par jour, chaque livreur du Food Emporium, une chaîne de distribution new- yorkaise, pousse des chariots débordants de sacs. Dans la touffeur estivale ou sous des rafales de neige, le ballet ne s'arrête jamais. Cela fait quatre ans que Kouamé, Togolais de 33 ans, est un fantassin de cette étrange escouade. Une maîtrise de géographie et d'économie rurale en poche, il savait que son pays lui offrait peu de perspectives. Il a préféré s'exiler, à l'aide d'un visa d'étudiant, largement expiré aujourd'hui. Immigré illégal, donc « mais ici, tant que l'on n'est pas un criminel, la police nous laisse tranquilles, » explique t-il. Aux États-Unis, le service doit être efficace. Alors les employeurs ferment les yeux. « J'ai eu mon contrat avec de faux papiers mais je crois que la direction s'en doute », poursuit-il. À moins qu'elle n'y trouve son compte : à 7 dollars (5 euros) de l'heure, c'est en deçà du Smic horaire (7,5 dollars) « et l'année dernière j'ai eu 20 cents d'augmentation ». Avec les pourboires, Kouamé gagne environ 1.500 dollars par mois (1.080 euros), en travaillant 8 heures par jour, 6 jours sur 7. Invisible dans la sociétéUn logement dans le Bronx qu'il partage avec trois Ivoiriens et un peu d'argent qu'il arrive à épargner, il ne s'avoue pas malheureux pour autant : « Ce dont nous souffrons vraiment, c'est d'être invisibles dans cette société. Encore moins considérés que les Latinos et méprisés par les Noirs américains. » Représentant 47 millions de personnes, soit 15 % de la population américaine, les Latinos pèsent lourd dans l'électorat. Ils sont loin d'être toujours considérés avec bienveillance, mais ils ont appris, au fil du temps, à s'organiser pour devenir un contre- pouvoir. « Plus nombreux, ils ont mis en place un système d'entraide et obtiennent plus facilement des promotions », analyse-t-il. Et d'admettre aussi, que couleur de peau oblige, les emplois mieux rémunérés comme ceux de serveurs, leur échoient plus facilement. En rêvant de récupérer les 4.000 dollars qu'il a versés à une Afro-Américaine qui lui promettait un mariage blanc avant de disparaître dans la nature, Kouamé repart affronter le bitume. Accompagné d'Ibrahim (le prénom a été changé) barbe grisonnante et allure fatiguée : « Ma retraite était insuffisante pour subvenir aux besoins de ma famille à Dakar, dit-il. Je suis venu illégalement, me donnant cinq ans pour amasser un petit pécule. » Drôle de pied de nez du destin pour un ancien officier de police sénégalais... devenu clandestin. Sixtine Léon-Dufour, à New York
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