La musique prend le maquis

Au loin, le Monte Grosso poudroie sous les dernières neiges. La luminosité de l'air témoigne de la proximité de la baie de Calvi, antichambre du paradis si l'on en croit le nombre de couvents et chapelles hérissant la Balagne. De superficie réduite, cet arrière-pays entre L'Île-Rousse et Calvi est devenu prospère au XIXe siècle grâce à la culture des vignes, olives et cédrats. Une compétition a éclaté entre les villages et des facteurs d'orgues réputés, les Saladini, De Ferrari, Agati-Tronci, Domini, ont orné de beaux instruments les chapelles baroques de Costa, Muri, Agregno... On en recense, au total, près d'une trentaine. Après quelques décennies d'abandon, des restaurations courageuses leur ont redonné vie. On les entend lors des offices et des grandes fêtes religieuses, mais aussi, plus intimement, lors des balades menées par Elizabeth Pardon. Trousseau de clés en main, cette musicienne emmène des petits groupes de village en village, traînant sous les arcades, poussant les portes des églises, s'asseyant pour faire résonner un instrument essentiel à la perpétuation des traditions communautaires. On apprend beaucoup lors de ces flâneries musicales, sur les orgues bien sûr, mais aussi sur les Corses et la Corse. Faire à nouveau résonner la montagne signifie parfois redonner vie aux confréries, ces groupements solidaires, bases et ferments de la société îlienne. Regroupant les hommes, du notable au berger, elles ont pour premier but d'exercer la solidarité. Lors des offices et des enterrements, leurs chantres interprètent des airs spécifiques à chaque village. Parfois, comme à Monticello, la « casazza », église où se réunit la confrérie, est plus grande que l'église paroissiale. Parfois, comme à Calenzana, elle est plus décorée... que les principales, l'église Saint-Blaise ou la chapelle Sainte-Restitude, qui fête en mai les fêtes de la sainte patronne de Balagne et accueille l'été le festival de musique. Depuis ses 580 mètres d'altitude, Speloncato, le plus haut village de Balagne, domine la plaine du Reginu... Entre la fontaine et l'ancien palais du cardinal Savelli pointe le clocher de la collégiale Santa Maria Assunta, la première des quatre collégiales installées en Corse. Mais c'est dans la chapelle Sainte-Catherine, installé sur une tribune renflée comme une coquille, oeuvre de l'ébéniste Anton Giuseppe Saladini, que rechante l'orgue de Crudeli (1810). Longtemps muettes, les confréries du village participent à nouveau à la vie de la communauté lors des messes des morts, des liturgies de Pâques et de la Pentecôte. L'envie de se retrouver importe autant que la sauvegarde d'un patrimoine oral, explique Jean-Dominique Poli, un des dix-sept membres de la confrérie Sant'Anton Abbate reformée après la restauration de l'orgue : « Les chants non chantés meurent. » Et puis : « On est perdus dans ces petits villages si l'on ne se rencontre pas. »
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