L'opinion a pris conscience depuis quelques années que les comptes des entreprises ne reflétaient en aucun cas leur contribution réelle à l'utilité sociale. La comptabilité sert à donner une vision patrimoniale au regard des intérêts des actionnaires?; elle ne permet pas de créer de lien entre la performance économique et la performance sociale des entreprises. A un moment où l'économie financière est en crise grave par défaut de régulation, on voit bien qu'il y a là un défaut considérable de lisibilité de la réalité de notre économie de marché. Les entreprises les plus citoyennes ne sont pas mieux récompensées que les autres, c'est là toute la limite de notre système.
Au moment où les entreprises sont de plus en plus nombreuses à concevoir des rapports de responsabilité sociale et de développement durable de plus en plus précis et complets, appuyés sur des standards internationaux de plus en plus opérationnels et reconnus, il est devenu dérisoire de laisser ces efforts à la marge pour les priver de toute portée politique.
Ces rapports ont vocation à intégrer pleinement la gouvernance des entreprises. Ils ne doivent pas viser à obtenir ? seulement ? une contrepartie d'image car cela conduit à préférer les effets d'annonce sur les inflexions de comportements fondamentaux. Depuis que la France a posé une obligation de «reporting» social en 2001, aucune entreprise ne peut dire que cet effort lui a pesé au point de lui coûter ou de la freiner dans son développement.
Tout au contraire, ces rapports sont devenus des outils importants pour entrer sur les marchés internationaux, attirer des talents et passer des accords avec des acteurs sociaux influents. Les directeurs de développement durable, interrogés par l'Ifop et le Collège des directeurs engagés, ont reconnu ce fait et ont tous considéré que l'obligation du rapport constituait une avancée utile qu'il fallait encourager plus avant.
La loi Grenelle va proposer l'amélioration de ce dispositif. La représentation nationale comprendra certainement qu'il s'agit là d'une tendance historique à encourager et pas d'une charge bureaucratique en plus. Il faut dire que le contexte actuel clôt le débat sur la dimension volontaire ou normative de cette nouvelle comptabilité sociétale qui tente d'émerger partout dans le monde. L'Europe s'est perdue dans ce débat ? laisser faire ou contraindre ? alors qu'elle avait pris de l'avance?; en plaidant le refus de toute préconisation formelle, elle s'est fait dépasser par des organisations internationales qui ont réussi à poser les termes universels d'une mesure de la responsabilité sociétale des entreprises, comme ISO et la GRI (Global Reporting Initiative).
Si on apprend à construire cette comptabilité sociétale, dite «extrafinancière», dans un cadre partagé, on s'ouvrira enfin la possibilité de moduler les politiques économiques en fonction des contributions apportées par les entreprises dans les territoires où elles agissent et de dépasser le prélèvement forfaitaire (IS) qui est tout à fait inéquitable dès lors qu'il ne tient pas compte de la contribution sociétale de l'entreprise.
En effet, est-il normal de traiter l'entreprise qui crée des emplois, fait de la recherche sur le territoire, diminue ses impacts environnementaux et s'investit dans le développement local de la même façon que celle qui fait du «tourisme économique et fiscal»?? A partir du moment où les entreprises choisissent leurs implantations selon des critères de pure efficience économique, les Etats ne peuvent négocier les externalités négatives qui coûtent à la collectivité et favoriser les externalités positives qui rapportent que s'ils disposent de critères de mesure incontestables.
C'est tout l'intérêt de la comptabilité extrafinancière que d'ouvrir cette possibilité de réguler la vie économique en fonction d'une mesure objective de l'impact social, environnemental et sociétal d'une entreprise. Un chantier théorique et politique est à mener sur le plan européen d'abord pour mener à bien cette évolution qui sera jugée comme banale dans la décennie qui vient. On sait que la question des normes comptables est au c?ur du retour à des modes de régulation financière satisfaisants. Profitons-en pour y glisser cet aspect du rapport sociétal et de son intégration complète dans les règles actuelles du reporting financier, soit en le rendant obligatoire, soit en récompensant les entreprises qui voudront le faire.
C'est là un chantier que le Grenelle avait sorti de l'ombre et auquel la situation que nous vivons redonne tout son sens, si on veut faire de la croissance durable une stratégie de sortie de crise. Ne passons pas à côté de cette opportunité de régulation «durable».
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