Perte d'identité aux Caisses d'épargne

Point de vue de Catherine Malaval (LoweStrateus) et Robert Zarader (Equancy &Co), les co-auteurs de «La Bêtise économique», Perrin, 2008.

«Les relations que l'entreprise entretient avec sa culture et son histoire sont propres à chacune d'elles», écrivait l'historien François Caron, en préface d'un ouvrage consacré aux 75 ans de la Caisse Centrale des Banques Populaires. «Une identité trop affirmée, trop respectueuse des traditions, peut être un obstacle à son adaptation à l'environnement macroéconomique et devenir mortelle. A l'inverse, une gestion fondée sur une quête ininterrompue de la modernité qui rejette sans ménagement l'héritage du passé peut déboucher sur une perte d'identité tout aussi mortelle. La culture d'entreprise peut tout à la fois la détruire ou la sauver ».

A l'échelle de l'histoire bancaire et du crédit populaire, sur fond de crise financière mondiale, en quinze jours à peine, deux événements ont brutalement marqué la fin d'une époque : l'affaire des «600 millions» des Caisses d'épargne (en fait une perte de 751 millions d'euros, apprendra-t-on ensuite), des fonds propres joués sur la table du grand casino et perdus en deux temps trois mouvements par quelques traders échappés de la matrice de l'économie, et l'annonce d'un rapprochement possible avec les Banques Populaires. En vingt-cinq années d'une quête ininterrompue de modernité, ces deux groupes bancaires génétiquement liés à l'économie réelle ont ainsi voulu à tout prix pratiquer les mêmes métiers que leurs concurrents - les grandes banques diversifiées - et, au risque d'y perdre beaucoup, ont joué avec leur identité. Ah, être une banque comme les autres, financière et internationale, le rêve enfin réalisé pour les Caisses d'épargne, après tant et tant d'années de condescendance des banques de La Place puis vingt-cinq années de développement accéléré depuis cette loi de 1983 qui permit « la métamorphose en groupe bancaire moderne ». S'en suivit la prise de contrôle d'Ixis, la création de Natixis, le rachat de Nexity et bien d'autres opérations. Finalement, près de deux siècles après la création des premières Caisses d'épargne en 1818, quel grand écart avec le projet philanthropique de leurs deux fondateurs, le baron Benjamin Delessert et le duc François de La Rochefoucauld-Liancourt ! Et pourtant quelle formidable actualité des mots et des ambitions de ces deux hommes! N'espéraient-ils pas tous deux «faire comprendre au peuple les bienfaits, on peut presque dire, les miracles de l'économie», défendant, par la pratique de l'épargne, une morale fondée sur le travail et la prévoyance individuelle ?

En octobre 2008, peu de bienfaits pour le peuple, une morale introuvable et point de « miracles de l'économie » pour les Caisses d'épargne et leurs dirigeants... Mais dépassons un moment «l'incident»pour nous interroger sur le sens caché du rapprochement programmé et aujourd'hui contraint de ces deux institutions nées d'ambitions différentes, l'une pour le soutien du crédit populaire, l'autre, pour celui des petites et moyennes entreprises. Ce sens caché, c'est celui évoqué par une étonnante combinaison de l'héritage idéologique libéral du XIXe siècle et de l'héritage idéologique radical de la IIIe et de la IVe République ! A leur création et durant les Trente Glorieuses, tant les Caisses d'épargne que les Banques Populaires ont en effet constitué une pièce maîtresse d'un projet social et politique, destiné d'une part, à insuffler des comportements capitalistes, l'épargne, l'investissement, etc., dans les milieux populaires, d'autre part à favoriser l'assise sociale et l'essor d'une classe moyenne principalement composée de petits entrepreneurs. L'histoire de ces banques se confond avec l'histoire de leur clientèle historique, les classes moyennes notamment, qui a joué le rôle structurant que l'on sait dans la croissance économique et le développement d'une consommation de masse, et figure au c?ur de la crise sociale actuelle. Vingt-cinq ans de banalisation des Caisses d'épargne et des Banques Populaires, c'est aussi vingt cinq ans d'éloignement de cette clientèle qui leur était naturelle.

L'Etat a favorisé en permanence la consolidation du lien entre ces groupes bancaires et une classe moyenne dont il faisait son socle politique. Durant l'entre-deux-guerres, l'Etat a donné aux Banques Populaires les moyens d'exister tandis que les Caisses d'épargne bénéficiaient avec La Poste, du monopole de la distribution du Livret A. Même si l'Etat n'est plus le financier des Banques Populaires depuis longtemps et que la banalisation du Livret A est programmée au 1er janvier 2009, la « colère » gouvernementale contre les Caisses d'Epargne et leurs dirigeants reste une illustration du rapport inconscient et du lien génétique qui lient l'Etat au futur groupe bancaire. C'est une première lecture de la colère du Président. Une seconde lecture existe, plus politique celle-ci. Alors que le désenchantement des Français s'accroît à mesure que décroît leur pouvoir d'achat et que la crise financière devient récession, cet obstacle inattendu n'a-t-il pas mis à mal, ne serait-ce qu'en apparence, son projet politique qui vise l'émergence d'un nouveau capitalisme populaire national, exprimée dans les mots et dans cette ambition « récente » de refonder le capitalisme, du désormais célèbre Discours de Toulon aux prochaines Assises de l'UMP? Aux côtés de grandes banques internationales comme BNP Paribas, nécessaires pour affronter un concert de concurrence mondiale, ce néo-capitalisme a plus que jamais besoin en temps de crise de « sa » banque. Fort de ses liens originels avec les classes moyennes dans toutes leurs dimensions, le groupe Caisses d'épargne - Banques Populaires incarnait à ses yeux une solution idéale, il continue de l'incarner.

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Commentaires 7
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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vu les apprentis sorciers que sont leqs traders, j,ai demande le remboursement de mes parts socialesde de la c.e.

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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ayant travaillé dans le groupe caisse d' epargne je peux ajouter que la banque ce sont des capitaux et des hommes et leur savoir faire .Or le niveau moyen des hommes dans les caisses d' epargne ne correspondait pas aux ambitions affichées

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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C'est le résultat du gachis de notoriété personnelle fait par Mr milhaud et son équipe depuis une dizaine année

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Le sétois s'est brulé les ailes en rêvant de s'assoir à la même table que les énarques. Il a fait fi du bon sens et de cette leçon première du métier bancaire: on ne fait jamais une activité que l'on ne sait contrôler! Et pour contrôler, il faut avoi...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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C'est très domage pour la Caisse D'Epargne, le petit écureuil, cher à bon nombre de Français, mais le monde dans lequel nous vivons ne laisse guère de place aux sentiments, malheureusement. Les employés des caisses d'épargne doivent être déboussolés,...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Scoop TV? MALAISE SUR L'EMISSION... ""D'après les informations que j'ai la CE a perdu DIX MILLIARDS d'Euros...": Déclaration MAINTENUE et répétée par P. Habib-Deloncle (entendue sur l'émission sur Public-Sénat "Pouvez-vous faire confiance à votre ban...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Quant on voit de quelle manière Mr C.MILHAUT a été sanctionné , on peut se demander: de qui se moque-t-on?Pas de parachute doré mais le droit de se dorer au soleil dans des succursalles et filialles dont certaines sont même situées dans des "Paradis ...

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