Curry et opium ou préférer l'Inde à la Chine

Par François Beloeuvre, directeur général, et Raphaëlle Sauvé, consultante, Bearing Point.

A l'heure des déconvenues en Chine, l'Inde suscite un intérêt renouvelé. De nombreuses PME s'y développent, tandis que de grands groupes - Lafarge, Saint-Gobain, Schneider... - y sont présents depuis longtemps. L'Inde attire à la fois en tant que débouché avec un marché intérieur gigantesque, et comme lieu d'externalisation de services, notamment informatiques - le fameux "business process outsourcing" (BPO) - et de production à bas coûts de biens industriels.

L'éléphant indien présente de nombreux atouts. Il possède tout d'abord un immense et dynamique marché intérieur. Comptant aujourd'hui 1,1 milliard d'habitants, l'Inde sera le pays le plus peuplé du monde dans trente ans. Sa population est aussi la plus jeune du monde : 50% des indiens ont moins de 24 ans. En attendant, la Chine vieillit rapidement et risque d'être vieille avant d'être riche. Dans les vingt prochaines années, le revenu moyen des ménages triplera, et la classe moyenne indienne passera de 5% à 40% de la population, atteignant près de 600 millions d'individus. L'augmentation du pouvoir d'achat sera certes saupoudrée sur des centaines de milliers de foyers. Mais on estime que les trois-quarts du marché de la consommation indienne en 2025 n'existent pas aujourd'hui, ce qui représente un delta de près de 1000 milliards d'euros !

L'Inde bénéficie également d'un énorme potentiel en ressources humaines. Elle possède déjà la deuxième communauté scientifique anglophone après les Etats-Unis. Chaque année, 3 millions d'étudiants obtiennent un diplôme à BAC+3 minimum, dont 700.000 ingénieurs, soit autant qu'en Chine. La moitié de ces ingénieurs est absorbée par le secteur des services informatiques "offshore", dont l'Inde détient 25% du marché mondial.

Ces services, qui concernaient jusqu'ici le BPO, ont changé de nature : ils sont désormais à plus forte valeur ajoutée, tels que les études de marché, l'analyse de valeurs boursières, les dépôts de brevets, la R&D. L'Inde capte plus des deux-tiers de ces activités dont la croissance est fulgurante.

Ce tableau de la "Shining India" ne doit cependant pas masquer les difficultés des entreprises qui veulent s'y développer. La réalité indienne - linguistique, sociale, religieuse - échappe souvent à la grille de lecture trop réductrice d'une entreprise occidentale. Comme c'est le cas des Américains qui viennent en Europe, il est impossible pour un européen d'appréhender l'Inde comme un pays monolithique. Ainsi vaut-il mieux s'en remettre à des partenaires locaux pour gérer la complexité juridique et fiscale. Sans être idéal, le cadre légal et réglementaire offre néanmoins plus de sécurité qu'en Chine.

Il faut aussi compter avec la carence des infrastructures de transport et d'énergie - une vingtaine de coupures d'électricité journalières à Bangalore - et la concurrence féroce des entreprises indiennes d'une part, et des collègues asiatiques, américaines et européennes d'autre part.

Cependant, et contrairement à la Chine, l'Inde offre des perspectives de rentabilité rapides. En 2006 par exemple, Garnier a vu ses ventes bondir de 50% en volume en Inde, grâce à des dosettes individuelles de shampoing à 5 roupies la pièce, soit 8 centimes d'euro. Si L'Oréal enregistre pour l'instant un chiffre d'affaires limité en Inde, environ 100 millions d'euros estimé en 2007 - soit moins de 1% de ses 15 milliards de ventes en 2006 - le taux de croissance y est très fort, de 25% à 30% par an, et le groupe touche aujourd'hui 50 millions de consommateurs.

Dans tous les cas, la capacité à s'adapter aux exigences du marché intérieur indien apparaît comme un facteur clef de succès. Sa grande diversité et le petit porte-monnaie - en valeur absolue - de la ménagère indienne en sont les principales caractéristiques. Il faut avant tout s'assurer qu'on bénéficie bien d'un avantage en termes de coûts de production pour les biens industriels et les services qu'on implante ou délocalise. Puis, dans le cas où on s'adresserait plus spécifiquement au marché intérieur indien, il s'agit de construire un business model dans lequel, comme pour beaucoup de pays émergents, le profit est fait sur les volumes plutôt que sur les marges, avec des produits adaptés en conséquence. Essilor y a brillamment réussi.

Un signe qui ne trompe pas: les cadres indiens font preuve d'un optimisme constant sur les perspectives économiques de leur pays. Celui-ci offre à coup sûr des opportunités alléchantes, dans des secteurs parfois inattendus - pharmacie, cosmétiques, télécom... - à condition de savoir s'entourer. D'autres secteurs s'apprêtent à s'ouvrir : distribution, défense, banque de détail. S'il n'est pas aisé de s'installer en Inde, cela peut s'avérer très lucratif par la suite. Un seul mot d'ordre : prendre son temps.

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