La grande mutation qui bouscule les acteurs de l'audiovisuel

La fin de la publicité sur le service public est-elle une innovation ou un cautère défensif sur la jambe de bois de l'hertzien ? Cette option permet aux groupes privés de gagner un peu de temps. Elle ne produit nulle réponse à la mutation du mode de consommation des médias favorisée par la révolution technologique. Une mutation dont la France serait bien inspirée de prendre la mesure sous peine de décrocher, estime Nathalie Brion, présidente de Tendances Institut.

Jusqu'alors, les médias audiovisuels traditionnels ont crû et se sont développés sur un modèle simple et linéaire, en bénéficiant d'un réseau hertzien couvrant l'ensemble du territoire, ils ont construit un modèle économique reposant sur la publicité et la redevance. La rentabilité venait de la rareté du vecteur - la bande de fréquence - et du support - la télévision.

Internet, la télévision par ADSL, la téléphonie mobile 3G, les jeux en réseaux ont fait imploser ce modèle. Impactant la chaîne de valeur du marché des médias, ils déstabilisent durablement les marques institutionnelles et favorisent l'émergence de nouveaux acteurs : opérateurs télécoms, fournisseurs d'accès à Internet, sites de partage vidéo et nouveaux distributeurs, plates-formes de jeux interactifs, etc.

La chute des recettes publicitaires, amplifiée par la crise, menace les chaînes de télévision, TNT comprise, et les agences pour lesquelles les bannières Internet ne peuvent constituer une réponse globale. Elles ne seront jamais aussi impactantes et rémunératrices que les 30 secondes de spot publicitaire, car l'internaute peut y échapper. Il le fait, aidé en cela par les DVR (enregistreurs numériques "zappant" la publicité). Aux Etats-Unis, un quart des ménages en possèdent. Il en est de même sur le Net avec le système Firefox. Il s'en télécharge plus de 500.000 par semaine. En France, le DVR ne représente encore que 2% des équipements, néanmoins un tiers de la publicité y est zappé. Quelle sera la réponse le jour où le taux d'équipement passera les 50% ?

Il n'est plus possible de "maintenir" le téléspectateur devant une grille de programmes linéaires prédéfinie. Et faute d'une prise en compte réelle des attentes du téléspectateur, les grands groupes de médias sont condamnés au profit des Google, Apple, Orange, et autres. Ces plates-formes se constituent déjà en médias à part entière. C'est un début.

Certaines chaînes ont déjà commencé à compléter la diffusion classique linéaire par la vidéo à la demande, le "catch-up TV", le "replay", les "podcasts", etc. Les précurseurs sont Canal Plus et M6 (1,3 million d'auditeurs par mois utilisent M6 Replay), mais des concurrents inattendus, comme la Fnac, Darty, ou CDiscount apparaissent et atomisent encore un marché qu'ils déstabilisent durablement, aidés en cela par l'arrivée de nouveaux supports comme le iPod vidéo, la Wii et la Nintendo DS.

Enfin, les attentes en matière de contenus changent. Les films drainent moins d'audience massive, et handicapés par la règle de la chronologie des médias, ils subissent la concurrence des programmes courts, les "snackings", non soumis à cette réglementation, plus adaptés à la vie moderne et dont la qualité ne cesse de croître. Les succès de "Grey's Anatomy", "Desperate Housewives" ou "Californication" en témoignent. Ici aussi, le modèle mute.

Ces offres remettent en cause le financement des ?uvres calé sur la chronologie des médias. Mais la valeur se déplace vers les contenus, et toute tentative pour aménager sans repenser l'encadrement législatif est vouée à l'échec. Bloquer le piratage est une opération impossible, il faut donc proposer des offres suffisamment attractives sur le fond comme sur le prix pour qu'il devienne dissuasif et promeuve l'achat à l'acte. Cette approche est d'autant plus congrue que ce sont les mêmes "pirates" qui achètent le plus de contenus sur le Net.

La France compte d'ores et déjà plus de 30 millions d'internautes, 5,5 millions de Français recevront la télévision via Internet en 2011. Internet est désormais le "hub" global, destiné à répartir des offres multiples agrégées autour de marques médias fortes, sur des supports multiples allant du téléphone à la console de jeux en passant par le MP3. Le monopole de l'écran de télévision a vécu. C'est peut-être, comme le déclare Nonce Paolini, "la puissance d'une chaîne qui compte pour l'annonceur". Mais sans marque forte, porteuse de valeurs fortes, on se contente d'empiler des audiences sans cohérence.

Les gagnants seront ceux qui sauront connaître leur audience autrement que de manière strictement quantitative, et qui apporteront à leur public cible les contenus adaptés.

Depuis l'origine, les médias français vivent leur marché de manière strictement nationale, occultant le fait que la qualification de l'audience est devenue communautaire avant d'être territoriale. Les valeurs fédèrent désormais bien avant le territoire ou la nationalité. Ce phénomène est amplifié par Internet qui permet partout d'accéder au contenu de son choix.

Le média gagnant sera celui susceptible de créer une adhésion communautaire sur la base d'une marque forte. Seul moyen de demeurer prescripteur. Un média qui n'est pas une marque est condamné à être remplacé par une nouvelle marque émergente dont la nationalité importe peu désormais. Dans le classement des cent plus grandes marques mondiales, tous secteurs confondus, aucune marque média française n'est présente. Google arrive, lui, en dixième position.

Les technologies ont changé le consommateur. Il s'identifie aux marques qu'il aime mais ne les subit plus. Aux groupes de communication d'en prendre acte, d'apprendre à connaître leur audience réelle et non celle de statistiques abstraites. A eux de miser sur le collaboratif, la créativité, la jeunesse, le risque et non sur le défensif, la régulation et le suivisme sauf à accepter de voir la France disparaître de la scène médiatique internationale.

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