La crise aux cent visages

Par Sophie Gherardi, directrice adjointe de la rédaction de La Tribune.

Etonnant comme cette crise économique est multiforme. A la fois universelle comme aucune avant elle, et différente dans chaque pays. Voyez l'Espagne. Depuis les années 1990, elle faisait l'envie de tous : dynamique, inventive, accueillante, elle avait réussi à venir à bout d'un énorme chômage tout en s'ouvrant à des millions d'émigrants de tous les continents. C'était un tel rêve qu'on lui pardonnait son bétonnage généralisé : elle mettait en chantier chaque année plus de logements que la France, l'Allemagne et l'Italie réunies.

Le coup d'arrêt du secteur de la construction qui tirait l'économie n'en a été que plus brutal. La baisse des prix immobiliers a créé chez ce peuple de propriétaires un sentiment d'appauvrissement qui contribue à déprimer la consommation. Bref, l'Espagne est malade de la pierre : son point fort est devenu son point faible. A y regarder de près, un mécanisme similaire est à l'?uvre ailleurs. Le Royaume-Uni avait tout misé sur les services financiers. Rien n'était trop audacieux, aucun talent n'était trop cher, s'il s'agissait d'augmenter les profits des banques. Londres était la place offshore la plus glamour. Et c'est par la City que la crise a frappé la Grande-Bretagne (la même histoire, en plus grave, est arrivée à la minuscule Islande).

L'Allemagne du début des années 2000 était rongée par le chômage, elle avait perdu beaucoup de sa compétitivité. Dans un effort de rigueur intense - qui a déclassé une bonne partie du salariat -, elle a retrouvé son élan exportateur. Un euro sur trois était gagné à l'export, un emploi sur quatre y était dédié. L'effondrement du commerce international a donc touché l'Allemagne au c?ur. Et ses dirigeants se sont aperçus que la relance par la demande interne ne fonctionnait pas : les Allemands, tendus vers l'extérieur, avaient perdu l'habitude de consommer.

La même analyse, à peu de chose près, vaut pour la Chine, l'autre grand exportateur mondial. La Russie ? Elle était shootée aux matières premières, aux revenus faciles du gaz et du pétrole. Son point fort, là encore, est devenu son point faible. Economie de rente comme l'Iran ou l'Algérie, avec ce que cela suppose de gaspillage et de corruption, elle s'est affaissée quand s'est tari le robinet à devises. Les Etats-Unis ? Leur caractéristique était l'endettement, la bulle des "subprimes" en est résultée, son explosion a secoué le globe. Et la France, dans tout ça ? Pas trop de points forts, une économie moyenne, un filet social robuste. Dès lors, une drôle de crise plus diffuse qu'ailleurs. Qui a dit que la mondialisation nous rendait tous pareils ?

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