De Madoff à Matisse

Par Valérie Segond, journaliste à La Tribune.

Il y avait quelque chose de touchant dans la dispersion de la collection Yves Saint Laurent-Pierre Bergé, lors de la vente aux enchères qui s'est tenue cette semaine sous les voûtes du Grand Palais. Au moment précis où les Bourses mondiales chutaient dans un bain de sang généralisé, 1.200 collectionneurs présents ou représentés portaient, dans une atmosphère de recueillement inédit, le prix de quelques ?uvres d'art à des niveaux record.
Comme si, dans l'évanouissement de toutes les valeurs financières, ils étaient convaincus que l'art est ce qui restera quand tout aura disparu. Comme s'ils étaient venus chercher les dernières vraies valeurs sur un marché de l'art qui ne connaît ni hedge fund vendant à découvert, ni effet de levier à outrance : trahis par Madoff, ils se sont rués sur Matisse.
Il est vrai que la collection en question, calibrée depuis ses origines par les grands galéristes parisiens, était particulièrement en phase avec les aspirations de ce début d'année. Les amis de trente ans n'avaient pas pris de risques et préféré des ?uvres somme toute classiques aux paris hasardeux de l'art contemporain : il y avait plus de vaches, hier, au Salon de l'agriculture de la Porte de Versailles qu'au Grand Palais ! Aussi, ce sont plutôt des ?uvres secondaires d'artistes majeurs, tels que Gauguin, Manet, Vuillard, Brancusi, et même Mondrian et Marcel Duchamp, qui ont établi des records.
En clair, des valeurs sûres par leur signature, mais encore accessibles par leur stature. Et surtout, des ?uvres qui ont passé l'épreuve du temps, celle qui assure la rareté et l'unicité. En un mot, la vraie valeur, comme l'attestaient la présence des grands musées nationaux, le retour d'une majorité d'Européens parmi les acheteurs et l'absence remarquée des nouveaux riches qui, à l'automne, faisaient grimper les prix des tranches de vaches de Damien Hirst sur des sommets. Car si cette vente est remarquable, c'est aussi par ce nouveau rapport au temps qu'elle recèle.
Depuis l'existentialisme de Jean-Paul Sartre, et plus encore depuis la chute du mur de Berlin qui a consacré le triomphe du marché, une écrasante préférence pour le présent a façonné notre monde : en choisissant de consommer plutôt que d'épargner, en récompensant par des bonus hors normes le résultat immédiat d'une vente plutôt que son effet dans la durée, en valorisant les actifs avec des taux d'actualisation si élevés qu'ils déprécient la valeur future, on n'a cessé d'hypothéquer l'avenir pour satisfaire le présent. Or, hier, dans cet étrange recueillement, flottait la ferme conviction que seul le temps faisait la vraie valeur des choses.

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Commentaires 2
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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http://cryptome.info/0001/madoff-vics.htm February 2009 ________________________________________ From the web site of the US Bankruptcy Court, Southern District New York U.S. Bankruptcy Court Southern District of New York (Manhattan) Adve...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Que représente 373 millions de transactions sur les marchés boursiers ? Rien, une microscopique goutte d' eau. Il faut voir ailleurs cet engouement dérisoire : les oeuvres d' art ne sont pas imposables

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