L'entreprise patrimoniale, aiguillon de l'économie réelle

Par Philippe Vayssettes, Président de la Banque Neuflize OBC.

La crise que nous vivons a pour mérite de nous rappeler l'importance décisive, dans une économie "glocalisée", de structures capitalistiques trop souvent négligées : les entreprises patrimoniales. Largement méconnues du grand public et longtemps affectées par les lourdeurs fiscales, juridiques et administratives, ces entreprises dont le(s) dirigeant(s) détiennent "physiquement" tout ou partie du capital sont pourtant au c?ur de l'économie réelle. Portées par des entrepreneurs pragmatiques et responsables, elles doivent être nos aiguillons pour retrouver le chemin d'une économie profondément ancrée dans le long terme.
Quand la crise financière a commencé à se propager à l'automne dernier, les entrepreneurs patrimoniaux ont été les premiers à critiquer sévèrement les carences du système financier. Cet état de fait, sur lequel les médias ne se sont pas nécessairement penchés, témoigne a posteriori de la singularité des entrepreneurs patrimoniaux dans l'économie. A nous, banquiers, de l'entendre.
Qui sait qu'aujourd'hui, en France, 80% des entreprises de moins de 3.000 salariés sont patrimoniales ? Ou encore que le tissu industriel est composé à 80% d'entreprises patrimoniales en Europe et 90% aux Etats-Unis, représentant près de la moitié du PIB et des emplois salariés ? La situation actuelle doit nous amener à redécouvrir toutes les vertus du capitalisme patrimonial, et ce pour plusieurs raisons.
D'abord, les entrepreneurs patrimoniaux ont toujours préféré la croissance sur fonds propres à la croissance par l'endettement. Ensuite, les entreprises à forte réputation sur leur marché sont historiquement celles qui ont su tisser avec leurs clients ou les consommateurs un lien de proximité ; or, ce sont le plus souvent (et les exemples français sont légions) des entreprises patrimoniales.
D'un point de vue plus culturel et sociologique, les aventures personnelles, indépendantes, prennent aujourd'hui le pas sur les images historiquement négatives associées à la figure de l'entrepreneur : les Français reconnaissent désormais cet "entrepreneurial flair" cher aux anglo-saxons. L'entrepreneur patrimonial privilégie en outre une prise de risque "à taille humaine", rationnelle, maîtrisable et très localisée.
Petites entreprises locales et innovantes ou grands groupes à vocation internationale, la réalité plurielle des entreprises patrimoniales est un autre atout majeur. La puissance publique a d'ailleurs pris en compte cette diversité de situations, en donnant une existence légale aux Entreprises de Taille Intermédiaire (entre 251 et 5.000 salariés). Une manière de leur offrir les avantages juridiques et fiscaux des PME sans les contraintes appliquées aux grandes entreprises.
Quelle que soit leur taille, les entreprises patrimoniales partagent un point commun : à chaque fois que le capitalisme financier a été bousculé, elles ont su prouver leur capacité de résistance et de renouvellement, combinant contraintes macroéconomiques et besoins microéconomiques. Leurs "principes" de gestion paraissent beaucoup plus sains, car fondés sur un pragmatisme à toute épreuve : "Pourquoi paniquer quand je peux simplement différer mon projet de croissance externe et aller chercher d'autres relais de croissance ?".
Toute la richesse de l'entrepreneur patrimonial réside dans sa capacité à combiner prise de risque, autonomie, pragmatisme, dynamisme, capacité à anticiper et à se projeter, simplicité et flexibilité. Surtout, l'entrepreneur patrimonial se caractérise par l'étroite imbrication de ses patrimoines personnel (c'est lui qui apporte le capital nécessaire à la création de l'entreprise) et professionnel. C'est ce qui rend impossible pour lui l'entrée dans une logique purement spéculative : du fait de l'étroite conjugaison de ses patrimoines, l'entrepreneur patrimonial est dans l'obligation de penser l'avenir de son entreprise sur le long terme. La rentabilité financière, solide et durable, de l'entreprise patrimoniale est aussi le fruit de cette stabilité.
Ainsi, les banques doivent ôter leurs ?illères court-termistes et penser à nouveau la notion d'entreprise sur le long terme. Elles ont le devoir de soutenir puissamment ces entrepreneurs patrimoniaux, responsables et ancrés dans le réel, en les accompagnant au quotidien dans la gestion de leurs patrimoines personnel et professionnel. Elles doivent être un coproducteur de croissance, capable d'assurer la pérennité des entreprises patrimoniales et pallier tout préjudice en cas de maladie ou de décès du dirigeant, et ainsi protéger ses proches. Elles doivent, en résumé, soutenir les prises de risques intelligentes, innovantes, propres à dynamiser un bassin d'emplois, un marché, un secteur d'activité. Car comment rétablir la confiance sur les marchés si les banques n'ont plus confiance dans l'envie d'entreprendre de leurs clients ?
La crise est une opportunité en ce qu'elle marque le retour d'une gestion patrimoniale de l'entreprise. Les "pépites" sont là : leur indépendance, leur capacité d'innovation, leur attachement viscéral à une éthique d'entreprise plaçant l'humain au centre de la sphère économique, témoigne chaque jour de leur valeur sociale. Replacer les entreprises patrimoniales au c?ur de l'économie, c'est déjà se projeter dans la croissance et les opportunités de demain. C'est de facto permettre aux banques de retrouver leur rôle premier : être un partenaire de long terme pour les entreprises et contribuer ainsi à ramener la finance dans le monde réel.

 

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Commentaires 2
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Si seulement le politique pouvait comprendre cet état de fait!

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Que deviendraient les fonds de pension et autres investisseurs..... dont les banques, les compagnies d'assurances...etc etc font partie, si les entreprises n'avaient besoin "que" de crédits pour leur développement.... Les cotations en bourse seraient...

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