Electricité : reréguler pour mieux déréguler ?

Par Thomas-Olivier Léautier, professeur à l'IAE de Toulouse, chercheur à l'école d'économie de Toulouse (TSE).

Le gouvernement français a rendu public vendredi 24 avril le rapport de la commission Champsaur sur l'organisation du marché de l'électricité. Sa principale recommandation peut sembler pour le moins paradoxale : selon la commission, le prix de gros de l'électricité de base consommée en France devrait être fixé administrativement, et non pas par le marché ... afin de rendre le marché de l'électricité plus concurrentiel ! Quel sens une telle préconisation peut-elle avoir ?

La restructuration du secteur électrique en France se heurte depuis une dizaine d'années à une contrainte de taille. Plus de 80% de la production de l'électricité hexagonale provenant de centrales nucléaires dont l'investissement est amorti, le coût moyen de cette production est bien inférieur aux prix de marché pratiqués ailleurs en Europe. Dans ces conditions, les tarifs réglementés proposés par EDF sont très bas et les entreprises concurrentes n'ont pas la possibilité de prendre pied sur le marché français.

Depuis plus de dix ans, les pouvoirs publics font donc face à un dilemme politiquement insoluble : soit restructurer le secteur, conformément aux engagements pris auprès des partenaires européens, et accepter une augmentation mécanique et importante de la facture électrique pour les citoyens ; soit temporiser, et empêcher in fine que la compétition se développe sur le territoire. L'Etat du Massachusetts aux Etats-Unis s'est trouvé dans une situation similaire, qui a maintenu jusqu'en 2005 des tarifs réglementés très inférieurs au prix de gros de l'électricité sur le marché, la concurrence entre fournisseurs, autorisée depuis 1998, restant donc toute théorique.

Les gouvernements français successifs ont pour l'instant choisi de temporiser, et la restructuration du secteur a généré avant toute autre chose un mille-feuille de textes et tarifs, dont la Commission Champsaur souligne la complexité et l'iniquité. Mais l'absence de restructuration effective est devenue peu à peu une source permanente de tensions entre la France et la Commission européenne.

La Commission Champsaur propose donc de trancher ce n?ud gordien, en imposant à EDF de céder l'énergie de base d'origine nucléaire aux entreprises électriques concurrentes, à un tarif déterminé administrativement, égal au prix coûtant de production. Ce mécanisme est comparable à l'accès au réseau dans les télécommunications : France Télécom vend l'accès au réseau filaire à ses concurrents (par exemple, SFR, Bouygues Telecom) à un prix déterminé administrativement.

Les concurrents d'EDF (par exemple, Powéo, Direct Energie, GdF/Suez) pourraient ainsi s'approvisionner en énergie de base à des conditions comparables à celles d'EDF. S'ils sont plus efficaces ou plus innovants dans la commercialisation, ils captureront des parts de marché. Sinon, l'opérateur historique restera dominant. Le tarif réglementé proposé aujourd'hui par EDF ne serait alors plus inférieur au prix concurrentiel, et pourrait être supprimé pour cette catégorie de clients.

Cette préconisation soulève plusieurs questions. La Commission Champsaur recommande de restreindre l'approvisionnement à prix coûtant à l'électricité destinée aux consommateurs français. Il est douteux que cette provision soit compatible avec la jurisprudence européenne.

La principale difficulté pour les pouvoirs publics français, s'ils décident de suivre cette recommandation, sera donc probablement de convaincre la Commission Européenne de son bien fondé. Pour cela, deux conditions sont nécessaires.

Premièrement, le tarif de cession de l'électricité d'origine nucléaire doit être suffisamment bas initialement pour créer des conditions d'entrée économiquement satisfaisantes pour les fournisseurs alternatifs. Mais il ne doit pas demeurer trop bas trop longtemps, sinon les acteurs n'auront pas d'incitation à investir dans de nouveaux moyens de production de base. Afin de garantir la sécurité de l'approvisionnement électrique, le tarif de session doit donc rejoindre le coût de construction et d'exploitation des nouvelles centrales nucléaires, au moment où celles-ci devront être lancées.

Deuxièmement, pour garantir l'aspect transitoire de la rerégulation, les pouvoirs publics français doivent s'engager à ce que de multiples acteurs puissent participer au développement et à l'exploitation des prochaines tranches nucléaires, comme c'est le cas par exemple aux Etats-Unis, en Belgique, et en Allemagne. L'Etat y est-il prêt ? En janvier 2009, il a attribué à EDF le rôle de partenaire majoritaire dans le développement du prochain réacteur nucléaire, à Penly. Une décision qui ne va pas rassurer la Commission européenne sur l'aspect transitoire de la rerégulation.

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Commentaires 3
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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me fait pas de soucis, les consommateurs paieront plus cher? L'Europe devait servir à chaque nation d'améliorer sa qualité de vie et à chaque comission, on nous enlève en france un peu plus de nos privilèges chèrement acquis par les generations préce...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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On pourrait aussi demander à Michelin de diminuer la qualité de ses pneus pour aider ses concurrents à reprendre des parts de marché...Drôle de façon de favoriser l'innovation les bons 'investissements et les bons choix ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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qui financera dans le futur le renouvellement des centrales nucléaire?le privé?cà m'etonnerait enormement ,ça serra à la charge de l'operateur historique pour faire apparaitre le public plus cher c'est connu d'avance;la commission européenne commence...

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