Une politique industrielle de défense en quête de sens

L'air est connu : la France n'a plus les moyens de conserver l'ensemble de ses compétences dans l'industrie de défense. Pourtant, dans les années 1960, elle n'avait pas plus de moyens. Mais de la rencontre d'une volonté politique avec des programmes ordonnés à une même vision nationale est née une industrie florissante, pointue, créatrice d'emplois. Ce qui manque aujourd'hui, c'est une impulsion venue d'en haut capable de forger une vision collective.

A suivre les débats récents sur la loi de programmation militaire 2009-2014, et sans sous-estimer la dureté des temps, on est tenté de s'interroger : la politique industrielle de défense française se transforme-t-elle en un "sous-ensemble flou" ? Dans ce domaine pointu, et pourvoyeur d'emplois (plus de 100.000 pour la seule branche armement), on ne parle plus que d'une chose : "sauver les bureaux d'étude".

Le modèle économique tend ainsi à ressembler à celui de la sébile. On préserve ce qui peut l'être d'un ensemble de compétences et de laboratoires unique en Europe, tandis que dans les dîners en ville se joue en sourdine la petite musique blasée du repli sur des "niches" industrielles, le tout dans un ensemble transatlantique fonctionnant par subsidiarité. Conserver en France l'ensemble du spectre des capacités de défense serait "irréaliste". Il serait temps de cesser de nous prendre pour ce que nous ne sommes plus. Sagesse ? Mais si l'on se trompait de référentiel ? Et si, dans l'orbe régalien de la défense, situé au coeur de l'économie réelle, le problème était non de l'ordre de la technique ou du budget, mais bien de l'ordre de l'esprit, et de son collatéral obligé, la volonté ?

Tout à la fois idées-forces et mots d'ordre, l'indépendance et la souveraineté ont irrigué le tissu industriel de défense, des années 1950 aux années 1990. Elles l'ont même, osons le mot, transcendé. Nostalgie d'un temps qui n'est plus ? L'objection est peu recevable : période de croissance ou pas, la France n'était pas plus "riche" hier qu'aujourd'hui, en valeur absolue comme en valeur relative. La situation n'était pas moins "désespérée". Les Cassandre pas moins nombreuses. D'un pays ruiné par la guerre, aux structures industrielles démontées, ont néanmoins surgi ces édifices régaliens que sont le nucléaire, l'aéronautique et l'espace.

Ces édifices ont créé des millions d'emplois, irrigué l'innovation, nourri le tissu des PME. Les budgets n'expliquent pas tout : car ce que l'on considère aujourd'hui comme le nec plus ultra de la technologie mondiale procède en grande part d'une série de "bricolages" sublimes. Il suffit pour s'en rendre compte de discuter avec certains ingénieurs des années 1960, chez Snecma, Dassault ou Astrium. Qu'est-ce qui motivait les artisans de ce tour de force, chez les industriels comme à la Délégation générale de l'armement ou au Commissariat à l'énergie atomique ? Pas de miracle, en l'occurrence. Mais la rencontre entre une volonté politique et des programmes ordonnés à une même vision nationale.

Laisser le soin de cette vision au marché ou à des alliés, aussi "bienveillants" fussent-ils, eût semblé irrationnel. L'ardeur, l'inventivité et l'implication des hommes, ne fut que la conséquence de cette impulsion venue d'en haut, clairement énoncée, et soutenue quoi qu'il en coûte. Un jeune ingénieur, en sus du défi technologique, pouvait se projeter dans une réalisation collective soutenue par une volonté unanime. Il y avait bien là une logique de création, non de rente frileuse ou d'optimisation, euphémisme du renoncement progressif.

En France, "l'indépendance" a cadré la trame industrielle de défense des trente dernières années. Quelle sera la trame de l'avenir, sur laquelle se grefferont les nouveaux Airbus, les nouvelles Ariane, les nouveaux Rafale ? La perspective européenne est loin d'être caduque, sauf que ses engrenages et ses dispositifs donnent l'impression très nette de fonctionner "à vide".

En attendant, que faire ? Les drivers technologiques à potentialité régalienne ne manquent pas : intelligence artificielle, aviation du futur, défense antimissile exo-atmosphérique et accès à l'espace, énergies alternatives, et la dissuasion, toujours. Mais pour faire les bons choix, il faut peut-être dépasser le comment ou le combien et se demander pourquoi l'industrie de défense ferraille dans l'arène internationale. En somme, mieux qu'un budget, retrouver une vision, exprimée en termes de destin collectif. Le destin, une notion dépassée ? Erreur, surtout un 18 juin. L'industrie régalienne, par nature, a besoin de sens.

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